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par conséquent régnait encore vingt-quatre ans après la découverte, mourut si pauvre, qu’on put à grand’peine subvenir, pour ce puissant prince, aux frais des funérailles les plus modestes, et qu’on fut embarrassé pour donner des habits de deuil à une poignée de serviteurs. Charles-Quint, son successeur, qui régnait pendant qu’on ajoutait à la couronne des Espagnes les magnifiques empires du Mexique et du Pérou, éprouva souvent, selon M. Ranke, une grande pénurie.

Mais la découverte du Potosi, qui date du milieu du XVIe siècle (1545), amena enfin l’abondance de l’argent, jusque-là espérée seulement, quoiqu’on se fût flatté mille fois de la tenir. De ce moment, les prix de toutes choses sont bouleversés, et les historiens du temps rapportent les plaintes amères de ceux-ci, la satisfaction et la confiance de ceux-là, l’étonnement de tous, qui ne savaient à quelle cause attribuer cette révolution. On en parlait en tout lieu, jusque dans la chaire sacrée, et c’était le sujet des sermons prêchés devant les rois eux-mêmes, témoin les prédications de l’évêque Latimer en présence d’Édouard VI et de sa cour. Une même quantité d’argent commande de moins en moins de travail ou s’échange contre une proportion toujours moindre de produits. C’est ainsi que l’hectolitre de blé, qui s’acquérait moyennant 14 à 18 grammes d’argent, en exige presque immédiatement 40, et puis successivement 50, 60 ; actuellement et depuis plus d’un demi-siècle il en vaut 90. Toutes les redevances fixes exprimées par une quantité déterminée d’argent deviennent plus douces à porter pour celui qui les paie et font une moindre existence à celui qui les reçoit. Tel qui était hier un seigneur opulent n’est plus aujourd’hui qu’un hobereau en détresse. De là un effet politique, puisque les positions respectives des classes qui étaient astreintes à des redevances et de celles qui les obvenaient sont changées à l’avantage des premières. De ce point de vue, la découverte de l’Amérique a aidé à l’émancipation du tiers-état et en a préparé l’avènement, et ce n’est pas de cette manière seulement qu’elle y a servi. Cependant cette influence particulière ne s’est manifestée puissamment que là où les redevances étaient exprimées en métaux précieux et non là où elles se payaient en nature. En Angleterre, où la classe agricole s’acquittait plus communément envers les propriétaires du sol par un fermage en écus comptans et où elle avait de très longs baux, l’effet a dû être infiniment plus prompt et plus intense que dans les pays continentaux où dominait le système du métayage fondé sur le partage des fruits.

La découverte de l’Amérique a aussi changé le rapport d’un des métaux précieux à l’autre. L’or a été enchéri relativement. La valeur relative de l’or et de l’argent dépend de plusieurs causes : des frais de production, et, à un instant donné, de l’offre qui en est faite comparativement à la demande. Lorsque les relations commerciales sont très restreintes,