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divinités infernales, avant que le troisième jour ait paru. Les mystères d’Éleusis mettaient le peuple athénien en grande terreur de la mort. Cette violation du trépas à la face du ciel, en plein jour, pouvait heurter certaines susceptibilités religieuses. Il fallait pour la faire accepter l’expiation des sacrifices.

« Adieu, dit Hercule à Admète, conserve toujours ce saint respect pour l’hospitalité. » C’est, en effet, l’hospitalité, et non la tendresse conjugale qui est l’idée morale principale, l’enseignement définitif de cette tragédie : de sorte que notre vieux poète Hardy faisait déjà prédominer sur l’idée antique l’idée moderne, en intitulant son imitation Alceste ou la Fidélité. Ceux qui ont jugé sévèrement cette pièce et qui l’ont déclarée inférieure aux autres chefs-d’œuvre du théâtre grec ne s’étaient pas donné la peine de la lire. Qu’importe qu’au milieu de cette légende mystérieuse et romanesque, le poète ait jeté une scène que nos habitudes réservées nous empêchent d’accepter ? Admète, désespéré d’avoir perdu Alceste, s’emporte en violens reproches contre son vieux père, qui a refusé de s’offrir pour la sauver. Il va même jusqu’à le maudire. « Mais, lui répond naïvement Phérès, nous n’avons qu’une vie et non pas deux ; moi aussi je trouve bien doux de voir la lumière du soleil ! » Cette scène, hideuse jusqu’à la bouffonnerie, où se peint un si égoïste amour de l’existence, servait, dans l’idée d’Euripide, à faire ressortir encore mieux, par le contraste, toute la valeur du sacrifice d’Alceste. Quelle vertu ne fallait-il pas pour s’offrir à la mort sous un ciel qui inspire un si violent amour de la vie !

Telle est l’Alceste d’Euripide. Qu’y a-t-il de plus opposé au drame moderne que cette simplicité élémentaire de construction et d’action ? Voyons maintenant ce qui reste de la tragédie grecque dans la pièce jouée dernièrement à l’Odéon. Le traducteur ou l’arrangeur a commencé par supprimer ce prologue étrange entre Apollon et la Mort. Peut-être l’a-t-il trouvé trop étrange en effet ; mais, puisqu’il nous promettait l’Alceste d’Euripide, avait-il le droit de supprimer un morceau si caractéristique ? Il est vrai que le titre de la pièce est tourné à dessein d’une manière fort ambiguë : l’Alceste d’Euripide, voilà qui est bien ; nous allons voir une pièce grecque ! Pièce grecque, en effet, dit le titre ; mais ce n’est pas tout, et on ajoute cette glose insidieuse : Arrangée pour la scène française. Ce n’est donc plus l’Alceste d’Euripide, ce n’est donc plus une pièce grecque. Cependant, si quelque chose était étrange dans ce prologue, c’était moins Apollon, sans doute, que ce bizarre personnage de la Mort, nouveau et unique même dans le théâtre grec. Et justement, supprimant Apollon, le traducteur n’a pas supprimé la Mort ; il l’a seulement transposée, et de la lutte de ce personnage avec Hercule il a fait une partie de son troisième acte, car il a voulu diviser sa pièce en actes, quoiqu’il sût bien que cela n’est pas grec.

Le premier, qui est en grande partie de son invention, y compris un songe classique, a le tort de reculer le dévouement d’Alceste jusqu’au commencement du deuxième. Ce n’est qu’après avoir cherché partout un sauveur pour Admète qu’Alceste s’avise, un peu tard, d’être elle-même ce sauveur : c’est un dévouement in extremis. C’est le contraire de la pièce grecque qui commence tout droit par la mort d’Alceste, et qui élimine la question de savoir si Admète a pu ou non l’accepter. Ici, au lieu de l’éliminer, on l’élude. — Le deuxième acte est d’Euripide pour le fond. — Le troisième, excepté le dénoûment, est presque entièrement ajouté par le traducteur. — De sorte que, sur les trois actes, il y en a deux,