Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de kilogrammes de coton en laine que le tissage et la filature y transforment en 7 à 800,000 pièces d’étoffe (calicots, perkales, mousselines), sur lesquelles 5 à 600,000 sont destinées à recevoir l’impression. La valeur totale de ces toiles peintes est estimée à 38,000,000 de francs, dont 11 à 12,000,000 sont absorbés par la teinture. Les seuls établissemens existant à Mulhouse et dans les autres lieux que nous avons cités plus haut occupent journellement 11 à 12,000 ouvriers, dont le salaire, originairement beaucoup plus faible, s’est élevé progressivement jusqu’à 30 ou 40 fr. par semaine pour les imprimeurs, 36 à 50 fr. pour les graveurs sur bois. Les dessinateurs et les graveurs de rouleaux reçoivent des appointemens annuels qui peuvent varier de 3,000 à 6,000 fr. Les quinze manufactures de tissus imprimés du Haut-Rhin consomment, en moyenne, chaque année, 57,400 tonnes de houille et 59,000 stères de bois. — En 1844, d’après les documens que publient les ingénieurs des mines, le nombre des établissemens de ce genre en activité sur tout le territoire français était de 164, et ils employaient 85 machines à vapeur ; il faut évidemment ajouter à ce chiffre celui beaucoup plus grand des moteurs hydrauliques affectés au même genre de fabrication.

Ce n’est pas sans dessein que nous avons établi un constant parallèle entre la France et l’Angleterre. Nous avons voulu montrer qu’ici comme partout, comme toujours, il y avait lutte, pacifique il est vrai, mais cependant acharnée, entre les deux rivales. Contrairement à ce qui arrive sur le terrain brûlant de la politique, les circonstances fixent nettement leurs prétentions respectives, — au double point de vue du commerce et de l’industrie.

Pendant le blocus continental, la Grande-Bretagne vit l’Europe presque entière se fermer devant elle, et trouva dans les colonies un vaste, mais unique débouché. Cédant alors aux exigences de la nécessité, elle s’attacha à produire à bas prix et en masse les qualités inférieures de toiles peintes, en mettant à profit ses belles inventions mécaniques. La France, au contraire, maîtresse du continent, s’appliqua spécialement aux étoffes de luxe. La chute de l’empire vint changer cette situation industrielle si avantageuse pour nous, et la concurrence normale fut rétablie sur les marchés extérieurs. Dès-lors, les deux adversaires durent entrer dans les voies nouvelles que leur traçaient les besoins du commerce. L’Angleterre chercha à compléter sa production par la fabrication des indiennes fines. La France se proposa le but précisément inverse : Rouen se chargea de la confection des toiles peintes communes, et en fit bientôt une branche importante de son industrie ; l’Alsace nous conserva notre supériorité pour les étoffes riches. C’est au goût parfait que portent, dans la création des choses nouvelles, les habiles dessinateurs de nos manufactures, plus encore qu’à une exécution pourtant admirable, qu’il faut attribuer la vogue universelle dont jouissent les tissus du Haut-Rhin.

On ne peut le nier, le génie de la mécanique est véritablement inné chez les Anglais. Aussi, dans la fabrication des indiennes, à eux la majeure partie des inventions de machines et de leurs perfectionnemens ; mais, par une assez large compensation, à nous revient l’honneur des grands progrès de la chimie appliquée à l’art de la teinture. C’est aux Koechlin, aux Dollfus, à Oberkampf, à J.-M. Haussmann surtout, que sont dus les succès que nous obtenons par la beauté et la solidité de nos couleurs. C’est à Berthollet, à Chaptal, à M. Chevreul, que l’industrie des toiles peintes doit le gigantesque développement qu’elle a pris depuis