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consacrer aux églises ou aux monastères des métaux précieux que souvent il eût été périlleux de garder pour les étaler, et qui étaient ainsi retirés de la circulation ; mais cette partie du moins de la richesse métallique n’était pas perdue, et plus d’une fois les procédés sommaires des princes la firent rentrer dans le courant des échanges. Les pièces de monnaie éprouvaient une perte régulière et continue en passant de main en main ; indépendamment de toute rognure. C’est cette perte qu’on nomme le frai, sur laquelle nous reviendrons tout à l’heure. Par les naufrages et les accidens de toute sorte, il s’en perdait, comme toujours, de petites quantités, qui, mille fois répétées, formaient des masses. La quantité de métaux précieux que possédait la société en général, et particulièrement cette fraction, relativement bien plus importante alors qu’aujourd’hui, qui était sous forme monétaire, se réduisit donc graduellement. Dans les siècles qui précédèrent la découverte du Nouveau-Monde, le signe monétaire était très rare, et la valeur des métaux précieux, par rapport aux denrées, était énorme. Ainsi, pendant un espace de deux cent trente-sept ans terminé à 1509, époque à laquelle l’influence des métaux précieux venus d’Amérique n’avait pu encore se faire sentir, la quantité d’or et d’argent qu’en a frappée en Angleterre représentait une fabrication annuelle de 6,886 livres sterl., au poids et titre de la monnaie actuelle, et, de 1603 à 1829, cette moyenne a été de 819,415 livres sterling ou cent vingt-deux fois plus grande[1]. M. Jacob a estimé, en partant d’une évaluation très peu certaine, il est vrai, de la quantité d’or et d’argent qui circulait sous Vespasien, et en évaluant la perte annuelle d’après une loi qui n’est pas d’une rapidité exagérée, que les espèces monétaires dans toute l’Europe à la fin du XVe siècle étaient réduites à 34 millions sterling (860 millions de francs). En égard à la valeur relative qu’avaient alors l’or et l’argent, je regarderais cette évaluation plutôt comme excessive.

Il n’est pas inutile de s’arrêter un instant sur ce point. On ne se rend pas bien compte du déchet qu’éprouve la monnaie en circulation, en embrassant un délai de quelques siècles, même dans l’état ordinaire des choses, et abstraction faite des grandes révolutions politiques et sociales, dont les alarmes font enfouir des valeurs qui ne revoient plus le jour. Il y a d’une part le frai : c’est, avons-nous dit, cette perte que subissent les pièces de monnaie en passant de main en main, par le frottement mécanique ; il y a ensuite ce qui disparaît dans les naufrages ou par l’effet d’autres accidens. Le frai semble susceptible d’être évalué avec quelque exactitude ; cependant les divers essais faits pour l’apprécier ne s’accordent pas. Sur les pièces d’argent françaises du

  1. Jacob, Precious Metals, I, chap. XIV. Il y a dans ce compte l’omission d’une quantité restreinte d’or, frappée de 1272 à 1347, qui dans aucun cas ne porterait la fabrication de la première période au centième de ce qui a été frappé dans la seconde.