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Hollande les procédés de cette industrie, qui créa dès-lors, pour le commerce de ces contrées, de nouvelles branches de produits. Ce mémorable événement, qui devait avoir une si grande portée religieuse, politique et industrielle, est d’une haute importance dans l’histoire des toiles peintes, car c’est à cette époque que la fabrication s’en propagea sur le continent européen. Jacques Deluze, émigré français, alla porter en Suisse cet art précieux, qui ne tarda pas à prendre entre ses mains un développement considérable : les succès amenèrent les concurrences, et, la Suisse devenant trop étroite pour le mouvement industriel qu’elle venait d’enfanter, de nombreux fabricans allèrent successivement s’établir en Allemagne, en Portugal et en France. C’est alors que se fondèrent chez nous d’immenses fortunes manufacturières, qui devaient se continuer dans la période suivante et que nous voyons encore subsister de nos jours.

Les Anglais, les Suisses, les Allemands, avaient déjà réalisé des progrès assez notables dans la confection des indiennes, lorsque, vers le milieu du siècle dernier (1746), l’art des toiles peintes s’introduisit, à Mulhouse. Cette métropole industrielle de notre province d’Alsace, alors petite ville libre de la Suisse, trouva tout d’abord en elle-même de puissans élémens de prospérité commerciale. Placée au centre de l’Europe continentale, Mulhouse avait, grace à sa situation géographique, pour débouchés de ses produits, la Suisse, l’Allemagne, la France, l’Italie et la Hollande. À cette position si favorable, elle joignait des eaux pures et abondantes, avantage précieux ou plutôt condition indispensable à la fabrication des tissus. La vie matérielle y était à bon marché, le combustible d’un apport facile ; sa population laborieuse et pauvre, intelligente et hardie, était éminemment propre à recevoir une éducation industrielle. L’établissement des premières fabriques de tissus imprimés dans la ville de Mulhouse est dû à trois hommes, Samuel Koechlin, Jean-Henri Dollfus, Jean-Jacques Schmaltzer, dont les descendans sont encore aujourd’hui à la tête des plus célèbres manufactures de l’Alsace. Ils avaient commencé par s’entourer d’ouvriers empruntés à la Suisse, mais leurs succès tentèrent bientôt la population de Mulhouse, qui se livra tout entière à une industrie si féconde en précieuses ressources. Le nombre des habitans cessa dès-lors d’être en rapport avec l’exiguïté du territoire, et de nouvelles fabriques allèrent se former à Thann, à Cernay, à Wesserling et enfin dans le bourg de Munster, où se fonda une maison qui a pris de nos jours un développement colossal, la maison Hartmann.

À cette époque, le gouvernement français, cédant aux sollicitations intéressées de la compagnie des Indes, s’opposait de tout son pouvoir à l’établissement des manufactures nationales. Mulhouse alimenta donc long-temps nos marchés intérieurs, ne partageant ce privilège qu’avec une fabrique que le pape possédait à Orange, et ne redoutant nullement les tissus de l’Orient, d’un prix nécessairement très élevé. L’usage des toiles imprimées devint en France si général, que les autres industries textiles commencèrent à en prendre de l’ombrage. Les chambres de commerce s’émurent, firent entendre des plaintes énergiques