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Lazare, et se pencher sur ma couche de feu ;
Qu’il trempe au moins dans l’eau son doigt, et qu’il en touche
Ma langue, ardent tison qui me brûle la bouche ;
Car d’un supplice affreux je souffre… Mais la voix
D’Abraham : — Tu n’as eu dans tes jours d’autrefois
Que joie et que plaisirs, Lazare que misères ;
Paie aujourd’hui le prix de tes biens éphémères ;
Lazare va jouir de son bonheur au ciel,
On l’achète en souffrant, mais il est éternel.
Voilà ce que dira la justice ; et toi-même,
O lépreux, invoquant votre père suprême,
Tu voudras obtenir pour ce riche damné
Le don de la pitié qu’il ne t’a pas donné ;
La prière du pauvre elle-même, ô Lazare,
N’éteindra pas le feu qui doit ronger l’avare.
En vérité, celui qui met son cœur dans l’or
L’enfouit à jamais avec ce lourd trésor ;
Il ne peut plus monter vers les divines sphères.
Et je dis : L’or et Dieu sont deux maîtres contraires,
Et par un trou d’aiguille un câble entrerait mieux
Qu’un riche n’entrera par la porte des cieux. »

Le peuple ému disait : « Parle encore, ô prophète ! »
Mais lui, sans plus l’entendre et sans tourner la tête,
Droit au seuil d’où l’orgie au loin a retenti
Monte, laissant Lazare en pleurs et converti ;
Et, bravant des valets le groupe encore hostile,
Il franchit fièrement le royal péristyle.


III.


Le festin redoublait de joie et de splendeurs,
Et déjà, de l’ivresse annonçant les ardeurs,
Le rire avait couvert de ses éclats sonores
Le son des coupes d’or se heurtant aux amphores.
Des flambeaux plus nombreux s’allument, éclipsant
Les obliques rayons du soleil pâlissant.
Le métal des bassins et des disques s’embrase ;
Une étoile jaillit du flanc de chaque vase ;
Et, complices des vins, les feux et les odeurs
Endorment la raison sous les fronts ceints de fleurs,
Le corps s’étend et pèse avec plus de mollesse