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de ce qui forme aujourd’hui le domaine d’une civilisation avancée, avaient tari les sources du bien-être. Quelques villes, libres et commerçantes, s’étaient enrichies en Italie, dans les Pays-Bas, dans l’Allemagne du nord. Dans les grands états, de rares efforts s’étaient faits de loin en loin pour encourager la production et protéger le travail, créateur de la richesse ; mais, presque sur tous les points, la barbarie, attachée à sa proie, reprenait aussitôt le dessus. Les métaux précieux, en particulier, n’existaient plus qu’en très petite quantité. Il paraît parfaitement démontré aujourd’hui que les Grecs et Rome en avaient eu des masses considérables en circulation au moment de leur plus grand éclat. La Grèce, avec laquelle je confonds la Macédoine, dut une certaine proportion d’argent à des mines situées sur le sol hellénique proprement dit[1], et une grande quantité d’or à ses relations commerciales avec l’Asie, aux subsides reçus des rois de Perse, qui en avaient un trésor bien garni, à l’exploitation de quelques mines productives dans la Thrace[2] ; mais principalement aux conquêtes d’Alexandre, qui livrèrent à ce prince les épargnes amoncelées par les souverains de l’Orient. L’or et l’argent accumulés par les rois de Perse seuls montaient, suivant M. Dureau de la Malle, à près de 2 milliards. Rome, en devenant la maîtresse du monde, vida les coffres des rois, qui partout avaient l’habitude de thésauriser, comme au surplus la république elle-même. Ainsi les dépouilles opimes de Pensée, d’Antiochus, de Mithridate, et plus tard ce qui restait à Alexandrie de l’opulence des Ptolémées, profitèrent au peuple-roi. Quand les souverains de l’Europe et de l’Asie occidentale eurent été dépouillés, Rome continua d’attirer à elle, de mille manières, tout l’or et tout l’argent qui existaient déjà, on qui se produisaient dans les provinces, et que le commerce faisait venir du dehors. C’étaient des tributs réguliers qui se versaient dans la caisse impériale, sans cesse épuisée par les largesses au peuple, aux prétoriens ou aux simples légionnaires, et par le luxe insensé des empereurs. C’étaient les exactions des proconsuls, déjà signalés par leur cupidité du temps de la république, qui, après avoir assouvi leur cupidité, rapportaient leur butin dans la capitale du monde, afin d’y vivre au sein du faste et de la luxure. Des mines d’or ou d’argent qu’on exploitait avec succès dans des provinces peu éloignées de l’Italie, particulièrement en Espagne et dans les Gaules, ajoutaient à ce qu’on retirait de l’Asie. Cette abondance des métaux précieux dans la Grèce et à Rome est démontrée par le témoignage des historiens. Elle l’est mieux encore par les changemens qu’y éprouva la valeur des denrées. Ainsi, du temps de Démosthène, l’or et l’argent, par rapport aux denrées de première nécessité, ne valaient plus que le cinquième de ce

  1. Laurium, dans l’Attique, mines d’argent.
  2. Les monts Pangées, mines d’or.