Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/1138

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Je la sens s’agiter sous le joug qui m’enchaîne ;
Et l’arbre, gémissant de mes coups assidus,
Parle au noir bûcheron qui fend le cœur du chêne
Comme aux pâles rêveurs sur la mousse étendus.

J’eus chez vous mon printemps, mes songes, mes chimères,
Arbres qui modérez le soleil et le vent !
J’ai versé sur vos pieds des larmes bien amères.
Mais pour moi votre miel a coulé bien souvent.

J’entends parfois de loin monter la voix des villes,
Elle m’arrive en bruits douloureux et discords ;
J’aime mieux écouter ces feuillages mobiles
D’où pleut un frais sommeil sur l’ame et sur le corps.

D’ailleurs, la voix qui siffle en traversant l’érable,
Le son calme et plaintif qui s’exhale du pin,
Ont un écho dans moi, profond, vague, ineffable,
Dont j’écoute en tous lieux le murmure sans fin.

Si j’ai vos bras noueux, vos cheveux longs et rudes,
J’ai mes chansons aussi, mes bruits graves et doux.
Et sur mon front ridé le vent des solitudes,
chênes fraternels, frémit comme sur vous !

En ennemi pourtant, sur ces monts que j’outrage,
La hache en main frappant tous mes hôtes chéris,
Liés en vils faisceaux pour un sordide usage.
Des rameaux et des troncs j’entasse les débris.

Aussi mon ame est triste, et j’ai le regard sombre ;
Destructeur des forêts, je me suis odieux ;
J’ai déjà dépouillé cent arpens de leur ombre,
J’ai fait place aux humains ; pardonnez-moi, grands Dieux !

Mais c’est la pauvreté qui par moi vous profane.
Saints temples des forêts, arbres que j’aime en vain !
Pour mes fils affamés dans ma pauvre cabane.
Chaque arbre, hélas ! qui tombe est un morceau de pain.

La pauvreté ! c’est elle avec qui ce fer lutte ;
Elle fait taire en moi ces choses que j’entends ;
C’est elle qui renverse, en pleurant sur sa chute.
Pour les besoins d’un jour, le chêne de cent ans.