Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/1136

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quel élan, quelle énergie, quelle persistance indomptable John Bull en a poursuivi la solution, tête basse et les cornes en avant. Ne doutons pas qu’un jour, mieux éclairé sur les progrès que l’Europe entière doit à nos codificateurs, il ne veuille aussi revendiquer, comme un droit, la justice à bon marché, la justice prompte, la justice dégagée d’énigmes, de vieux us, d’accoutumances inexplicables, de précédens aveuglément suivis. Or, il est assez évident que, pour en arriver là, si les romans ne suffisent pas, ils servent du moins à quelque chose. Miss Harriet Martineau n’a point commenté sans utilité les doctrines d’Adam Smith et de Ricardo. Pourquoi MM. Warren, Liardet, pourquoi d’autres conteurs encore ne viendraient-ils pas en aide à Bentham et aux savans jurisconsultes qui ont successivement attaqué, soit dans la Revue d’Édimbourg, soit, dans la Revue trimestrielle, les excentricités, les anomalies, les vices profonds, invétérés, et les ridicules énormes par lesquels sont déshonorées, en Angleterre, la législation civile et la procédure pénale ? La polémique, même la plus sérieuse, eut besoin, à toutes les époques, de se rendre accessible et populaire en dépouillant l’abstraite majesté du raisonnement. L’apologue des philosophes indous réveilla plus d’une fois les échos des deux Agoraï athéniens, avant de se retrouver sur les lèvres de Menenius Agrippa, de retentir dans le Comitium, et de monter au Capitole avec Marcus Caton. Or, l’apologue ancien et le roman de nos jours, si différens de forme, pourraient avoir en commun l’utilité pratique, la portée morale, l’enseignement profitable et viril. Nous serions très certainement les derniers à nous en plaindre.


E.-D. FORGUES.