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l’expression du poète, le poignard récemment trempé dans une huile onctueuse et qui va servir au meurtrier :

Like a murderer’s knife newly steeped in sweet oil.

Vainement chercherait-on sous ces emphatiques apparences de candeur et de loyauté un éclair de compassion véritable : tout est supercherie systématique, fraude permise, subterfuge légalement hypocrite. A ne voir que les dehors, le juge est avant tout désireux de ne porter aucun préjudice à l’innocence, toujours présumée, du prévenu qu’il interroge ; mais creusez un peu ces sophismes à l’aide desquels il déguise sa secrète impatience, et vous trouverez un homme animé d’un zèle souvent excessif, d’une soif de vérité qui ressemble à la soif du sang. L’avocat, en revanche, épris d’un bel enthousiasme pour sa thèse, ne songe qu’à triompher per fas et nefas, d’autant plus fier de réussir à tromper le jury, que les probabilités abondaient en plus grand nombre contre son client. On dirait d’un débat académique où la rhétorique seule est en jeu, où l’intérêt social et l’humanité n’ont rien à voir.

L’auteur du roman dont nous parlons a fait ressortir, avec un certain talent, ces abus dont une longue pratique émousse les reliefs et dissimule l’étrangeté. Ses bonnes intentions ont été reconnues ; on a rendu, hommage à la justesse, à l’opportunité, au mérite incisif de ses remarques, mais sans qu’il soit venu à personne la pensée qu’elles pussent avancer, ne fût-ce que d’un jour, la réforme législative en Angleterre. « Si nous pouvions attendre quelque bon résultat de pareilles exhibitions, nous croirions notre jurisprudence criminelle en bonne voie d’amendement, tant la fiction, cette fois, est vraisemblable, et tant sont palpables les maux qu’elle signale. » - Ainsi s’expriment, et sans trop d’espérance, les critiques les plus hardis, les plus favorables à cette guerre du roman contre la vieille jurisprudence anglaise. Si vivement attaqués qu’ils soient, les abus judiciaires ne sont donc pas, à en croire les Anglais eux-mêmes, à la veille d’être déracinés. Toute amélioration dans ce régime absurde et oppressif apparaît à peine à nos voisins comme une chance entre mille autres, comme une hypothèse difficilement admissible.

Et nous, cependant, nous augurons mieux du bon sens des masses. Lentes à s’éclairer, elles finissent pourtant par comprendre les questions les plus ardues, celles que la science vraie ou fausse enveloppe des doutes les plus épais. Vainement les théoriciens ont essayé d’obscurcir la question du libre échange : dès que cette question a pu se traduire en cette formule expressive : Le pain à bon marché ! nous avons vu avec