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peu près équivalent dont on s’attend à le voir investi un de ces jours. Sans cela, je me rends justice, Richard Shirley ferait dans le monde une beaucoup moins bonne figure que tel ou tel brave garçon, maintenant très heureux d’être connu de lui. Savoir, c’est pouvoir, dit-on généralement. En Angleterre, il faut retrancher la première lettre de cet axiome menteur. L’argent est devenu le signe représentatif de toute vertu comme de toute influence ; la santé, la vie elle-même, ne sont quelquefois conservées ou perdues qu’à prix d’or ou faute d’or. Bien convaincu de cette vérité, je regarde comme très essentiel tout ce qui, de manière ou d’autre, augmente mon revenu, et tout homme doit penser de même, si ce n’est…

— Si ce n’est ? demanda Edward.

— Si ce n’est un niais, répliqua Shirley[1]. »


Au point de vue purement légal, la critique de M. Liardet est beaucoup moins hardie que lorsqu’il l’applique aux abus sociaux, beaucoup moins amère, d’ailleurs, que celle de Warren. Il semble penser, avec l’un de ses personnages, que les difficultés de la procédure viennent, en définitive, du plaideur autant que des juristes. Bacon a remarqué chez la plupart des hommes un caprice, un amour désordonné du pouvoir, qui les conduit à vouloir sans cesse révoquer les dispositions qu’ils ont faites de leur vivant, et rendre irrévocables celles qu’ils prennent pour la répartition posthume de leurs richesses. Obligés de satisfaire ces inconséquens et contradictoires désirs, les interprètes de la loi ne l’auraient, à ce compte, obscurcie et encombrée de chicanes que par complaisance pour leurs cliens. C’est là certainement une bienveillante et philosophique interprétation ; mais la faut-il accepter sans contrôle ? et, dans la bouche d’un avocat ou d’un avoué, ne ressemblerait-elle pas merveilleusement à un paradoxe ?

Si la critique des mœurs judiciaires, telle que l’entend M. Liardet, manque un peu d’ampleur, du moins on peut recueillir dans ses trois volumes plus d’un détail curieux relativement à la procédure suivie dans certains cas particuliers, ou relativement aux usages du barreau. Nous apprenons par exemple qu’un avocat ne peut, sous peine de manquer à l’étiquette professionnelle, recevoir ses honoraires autrement que par l’entremise de l’attorney[2]. Quelques pages plus loin, nous voyons afficher sur les murs de Londres le nom d’un banqueroutier qui a pris la fuite. Vient ensuite une virulente critique contre la faiblesse du jury en matière de faux, du moins aussi long-temps que le faux, crime qualifié, fut puni de mort. Il paraît que les scrupules d’humanité prévalaient alors en Angleterre sur toute autre considération, et que les acquittemens les plus extraordinaires protestaient contre la rigueur

  1. Tales by a Barrister, tome III, p. 90.
  2. Ibid., tome III, p. 271.