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Nous en avons dit assez pour faire comprendre ce que présente d’intérêt sérieux le roman de Warren. C’est encore la critique des mœurs judiciaires qui recommande à notre attention les Contes par un avocat, de M. Frédérick Liardet, bien que cet ouvrage ne puisse en aucune manière affronter la comparaison avec un roman comme Ten Thousand a Year. Le dessein de l’auteur des Tales, by à Barrister, diffère d’ailleurs essentiellement de celui de Warren. Où l’un a vu les élémens d’une immense satire, d’un acte d’accusation porté contre une classe puissante, contre des institutions aveuglément vénérées, contre un état social tout entier, l’autre trouve seulement le motif de quelques conseils prudens adressés aux personnes qui traitent superficiellement les affaires et négligent de connaître, sinon les subtilités, du moins les dispositions élémentaires de la loi. Actionnaire de la Banque, si vous remettez à votre attorney un pouvoir pour toucher vos dividendes, prenez garde que dans les formules, dans les énonciations baroques de cet instrument légal, cet adroit agent ne glisse quelques mots obscurs que vous n’apercevrez point, dont vous ne comprendrez pas le sens, et qui l’autorisent à vendre vos actions sans vous en prévenir. C’est justement ce qui arriva au héros du premier récit de M. Liardet, au capitaine Manton certain jour qu’il allait rejoindre son régiment à Gibraltar. Un de ces pouvoirs ambigus lui fut adressé au moment où il surveillait l’embarquement de sa compagnie. Préoccupé de mille soins, chargé de mille détails, à peine jeta-t-il un coup d’œil sur le malencontreux parchemin, et il le renvoya dûment signé. Puis il n’y songea plus, et n’eut regret à cette préoccupation que plusieurs mois après, lorsqu’il apprit la déconfiture de son représentant. Encore ne croyait-il pas que le désastre pût être complet, et son modeste patrimoine entièrement perdu. Il l’était cependant. La Banque avait livré les titres de l’imprudent officier, dont le tour d’avancement était justement arrivé[1], mais qui, tout à coup ruiné, n’aurait pu acheter les épaulettes de major, si l’amour et le hasard n’étaient venus à son aide. Ces divinités propices réparèrent les torts de la fortune. Manton, avant sa mésaventure, avait échangé de tendres sermens avec une riche héritière. Clara Hardcastle, nonobstant les conseils intéressés de sa famille, tint à honneur de ne point faillir à ses promesses. Les deniers dotaux payèrent l’avancement du futur époux, et, pour l’intérêt qu’on doit porter à un hymen conclu sous de si favorables auspices, nous espérons que Charles Greville Manton, mis en

  1. Nous croyons devoir rappeler que l’ancienneté concourt avec l’argent à l’avancement des officiers anglais. L’officier nommé à un grade supérieur vend celui qu’il abandonne au plus ancien de ses subordonnés immédiats. Si celui-ci n’a pas le capital nécessaire, la vacance est offerte au plus ancien de ses collègues, et ainsi de suite jusqu’à ce que le marché soit conclu.