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Le procès d’York, qui dépouille les Aubrey de leur héritage, est un curieux échantillon des instances civiles portées devant le jury. L’élection de Titmouse, et les faits de corruption qui s’y rattachent, donnent lieu à une action parlementaire dont toutes les phases passent sous nos yeux. Enfin le dénoûment, c’est-à-dire la découverte de la fraude par laquelle a été dissimulée la naissance illégitime du faux héritier, nous fait faire connaissance avec une de ces bizarres créations du moyen-âge dont l’existence, au XIXe siècle, est un véritable problème. Lorsque Gammon, égaré par la passion, laisse planer quelques doutes sur les droits déjà reconnus de son misérable client, les amis de la famille Aubrey se consultent sur les moyens d’arriver à découvrir, dans les titres de Titmouse, le vice fondamental qui les annule. Une démarche conseillée par les éminens légistes, les habiles solicitors que Gammon est parvenu à dérouter une fois, et qui ont repris en sous-œuvre le procès perdu, a pour avantage de transporter devant la cour ecclésiastique toutes les questions qui se rattachent à la généalogie de Titmouse et d’Aubrey. Or, cette cour ecclésiastique n’est rien moins qu’un débris de l’inquisition, de l’inquisition détruite en Espagne, et qui pousse ses derniers rejetons au sein du protestantisme. La cour ecclésiastique, une fois saisie par la production des parties de la généalogie qu’elles prétendent, agit, en pareil cas, par voie de commission rogatoire. Un membre de la cour, un proctor, est chargé de diriger l’enquête, dont les procédures ont un caractère à part. Chaque témoin comparaît seul devant ce délégué du pouvoir religieux les dépositions sont recueillies en secret et précédées de sermens solennels. Sous peine d’anathème et d’excommunication, les témoins entendus sont avertis qu’ils ne doivent communiquer à personne, et surtout à aucune des parties, un seul mot de l’interrogatoire subi par eux. Rien ne transpire au dehors de ces recherches, de ces examens qui passent en rigueur, en minutie, tout ce que la loi civile a pu imaginer d’analogue. « Rude besogne, rude besogne, dit à Gammon le proctor choisi pour suivre cette nouvelle instance. Nous serons là, mon adversaire et moi, fouillant les archives, les greffes, les cimetières ; passant au crible fin tout homme, toute femme, tout enfant qui aura le moindre mot à dire sur notre affaire… Nous ne laisserons, ni d’un côté ni de l’autre, une pierre à retourner. Mon Dieu ! je me rappelle certain procès où un mariage, dûment constaté, à ce qu’il semblait, traversa sans encombre toutes vos cours de droit commun l’une après l’autre ; mais, quand l’affaire fut dans nos mains, — ah ! ah ! — nous eûmes bientôt découvert que ce mariage était une chimère, et quelque quarante mille livres changèrent immédiatement de possesseur. » On juge de l’effet que produisent ces paroles sur celui à qui elles sont adressées, et des pressentimens sinistres qu’elles lui laissent.