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opposées des choses. Trouver le point de réunion n’est pas ce qu’il y a de plus grand ; mais savoir en déduire les contraires, voilà le secret et le triomphe de l’art[1]. » Dieu n’est donc pas une cause extérieure au monde, comme le dieu d’Aristote. C’est un artiste intérieur, un principio efficiente et informativo da dentro. C’est de l’intérieur que ce principe donne la forme et la figure à toutes choses. « Il fait sortir la tige de l’intérieur des racines ou de la graine, les branches de la tige, les rameaux des branches et les bourgeons des rameaux. Le tissu délicat des feuilles, des fleurs et des fruits, tout se forme, se prépare et s’achève intérieurement. De l’intérieur aussi il rappelle les humeurs des fruits et des feuilles dans les rameaux, des rameaux dans les branches, des branches dans la tige et de la tige dans la racine. » C’est le cercle éternel des choses, circolo di ascenso e descenso, le mouvement alternatif de la vie et de la mort, progresso, regresso, l’échelle ascendante et descendante de la pensée et de l’être, scala per la quale la natura distende a la produzion de le cose, e l’intelletto ascende a la cognizion[2].

En résumé, ce que nous appelons l’univers est la manifestation d’un principe divin. Ogni cosa hà la divinita latente in se : Dieu n’est ni enfermé dans la nature, ni séparé d’elle. Elle est l’effet inhérent à la cause ; il est la cause immanente dans son effet. Elle est la nature naturante, il est la nature naturée. Elle est proprement la nature ; il est en quelque façon la nature de la nature[3].

Expression vivante d’un Dieu infini, l’univers est infini comme son principe. L’unité absolue de Dieu ne souffre dans ses attributs aucune inégalité. Son intelligence est infinie comme son être ; son activité doit aussi être infinie, et réaliser sans bornes ce que son intelligence conçoit, ce que son être enferme sans mesure. Quel orgueil et quelle folie de faire tourner un monde fini autour de la terre immobile ! Est-ce là un univers digne de Dieu ? Quoi ! Dieu est une puissance infinie, et ses effets sont finis ! Mais si dans l’homme la volonté se distingue de l’acte, et la puissance de la volonté, ces distinctions dégraderaient l’unité divine. En Dieu, la volonté est adéquate à la puissance. Pouvoir, c’est vouloir, et vouloir, c’est agir. Dira-t-on que Dieu n’a pas pu faire le monde infini ou qu’il ne l’a pas voulu ? Il ne l’a pas pu ? Sa puissance est donc bornée ; mais, si vous supposez des bornes à un attribut de Dieu, vous en supposez à tous, vous en supposez à sa nature. Il n’est plus l’infini,

  1. Ces mots, qui servent d’épigraphe au livre de M. Schelling intitulé Bruno, ou du Principe divin et éternel des choses (trad. par M. Husson, chez Ladrange), sont à la fin du cinquième dialogue De la causa principio ed uno.
  2. Dell’ Infinito, universo e mondi, p. 112. — Cf. Ed. Wagner, II, 308 ; I, 285, 287.
  3. « La Natura de la natura. » - « Natura naturans. » (Spaccio de la Bestia trionfante, p. 220 sq. — Cf. Wagn., I, p. 130, 191, 266.