Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/1089

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’autre se forge aussi une Trinité fantastique dont l’unité plotinienne fait le fond et qu’il lègue, encore bien confuse, à Giordano Bruno.

Le trait commun de tous ces philosophes, c’est donc de substituer au vrai Platon, au Platon chrétien, le Platon défiguré, perverti, de l’école d’Alexandrie. Et c’est ce qui explique à merveille que le platonisme du XVIe siècle, frère de celui de Porphyre et de Julien, ait été, comme son aîné, un instrument d’opposition contre la religion chrétienne.

On peut maintenant : se faire une idée juste de la philosophie de la renaissance. Cette philosophie manque d’originalité. Son mérite est dans la fougue et la hardiesse de son opposition. Elle puise toutes ses idées à deux grandes sources, le péripatétisme et le platonisme ; mais, en substituant à l’Aristote orthodoxe et chrétien de la scholastique l’Aristote véritable, et en ramenant sur la scène le Platon mystique et panthéiste de l’école d’Alexandrie, elle tourne avec puissance et avec audace contre la philosophie de l’église les deux plus grandes forces intellectuelles et les deux noms les plus glorieux du passé.


II.

Au milieu de ce mouvement universel et fécond d’études historiques, où le goût de notre siècle entraîne les esprits, et qui a ramené tour à tour à la lumière les principales époques de la pensée humaine, restitué tant d’antiques systèmes, ranimé tant de souvenirs, remué tant d’idées, labouré enfin en des sens si divers le champ du passé, on peut remarquer que la philosophie du XVe et du XVIe siècle a été presque entièrement négligée. Autant la littérature de la renaissance est aujourd’hui bien connue, grace aux belles esquisses de M. Saint-Marc Girardin, de M. Chasles, et au tableau achevé qu’en a tracé depuis M. Sainte-Beuve, autant est restée dans l’ombre la philosophie de cette époque. Il ne faut ni s’en étonner ni même s’en plaindre. L’antiquité, les temps modernes, méritaient d’attirer les premiers regards de l’histoire par l’originalité de leurs idées et l’incomparable beauté de leurs monumens. Le moyen-âge a eu ensuite son tour, et il le méritait, car lui aussi a son caractère propre et ses durables créations. La renaissance n’est venue et ne devait venir que la dernière : c’est une époque de transition, et, par cela même, elle n’a pas de physionomie bien distincte, et n’a pu marquer ses créations intellectuelles d’une empreinte simple, forte, indélébile. Ce n’est plus la nuit du moyen-âge, ce n’est pas encore le plein jour des temps modernes : c’est une lumière mêlée de ténèbres, une agitation prodigieuse, mais sans règle, une aspiration immense, mais vers un but ignoré. De là des œuvres plus bizarres qu’originales, où le génie ne brille que par éclairs, où l’imagination anime et altère à la fois une érudition sans critique, et qui n’ont ni la régula-