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conciles et d’une lente élaboration, l’on peut dire que le dogme chrétien satisfaisait et surpassait à la fois les besoins, intellectuels d’une époque encore barbare. Il fallait donc se rendre compte de cette vaste doctrine ; il fallait en disposer toutes les parties, en coordonner tous les principes, en éclaircir tous les aspects, en déduire toutes les conséquences ; il fallait lui imprimer le caractère de la science et les formes régulières de l’enseignement. Voilà ce qu’il fallait au moyen-âge, et il trouvait tout cela dans la logique d’Aristote. On dit que le célèbre calife Aaroun-al-Raschild, voulant donner à Charlemagne un témoignage expressif de sa sympathie, lui envoya un exemplaire de l’Organon. Le présent était choisi avec une sagacité admirable, et l’on ne pouvait s’associer plus finement aux vues d’organisation intellectuelle et morale du grand empereur. Au surplus, que l’exemplaire du calife fût grec ou arabe, personne, à la cour de Charlemagne, pas même Alcuin, n’en pouvait directement profiter. C’est à travers les traductions latines de Boëce, de Cassiodore, de Martien Capella, que le moyen-âge arrivait jusqu’à certaines parties de l’Organon. Malgré cette extrême ignorance et un peu aussi à cause de cette ignorance même, on s’explique à merveille que cet art consommé d’analyser la pensée et le langage, cette science, toute géométrique, des lois et des formes du raisonnement, cette théorie si complète et si ingénieuse de l’argumentation, cet ordre, cette rigueur, cette subtilité partout répandus, aient inspiré au moyen-âge le plus vif enthousiasme. La sublime philosophie du christianisme, pour fond, l’art accompli d’Aristote pour forme, n’est-ce point l’idéal de l’esprit humain ? De là ces Sommes du moyen-âge, où la magnifique suite des vérités chrétiennes, depuis les mystérieuses merveilles de la Trinité jusqu’aux plus humbles facultés de l’ame humaine, et depuis la naissance et la chute de l’humanité jusqu’à la consommation éternelle de ses destinées, se déroule sous la discipline uniforme et sévère du syllogisme aristotélicien ; œuvres imposantes encore à travers la poussière qui les couvre et la rouille qui les dévore, monumens à demi écroulés, mais pleins dans leur ruine de grandeur et de majesté, et dont le chef-d’œuvre est la Summa theologioe de saint Thomas.

Déjà cependant, avec saint Thomas comme avec son maître Albert-le-Grand, nous entrons dans une période nouvelle. Le moyen-âge s’est éclairé. Par ses communications avec l’Orient et surtout avec les Arabes, il a acquis une connaissance déjà assez profonde des monumens du péripatétisme. Ce n’est pas, en effet, seulement à l’Organon qu’avaient affaire les commentateurs arabes, Al-Kendi, Al-Farabi, Avicenne. L’Histoire des Animaux, le Traité de l’Âme, la Métaphysique, avaient été l’objet de leurs subtiles et savantes recherches, et ils en livrèrent le trésor à la scholastique.

Ici, à de grandes lumières vinrent se joindre de grands embarras ;