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morte, le plus stérile des universaux. C’est cet être-néant où s’était perdu Parménide, où s’égara Alexandrie, abîme ou plutôt chaos où toutes les contradictions se rassemblent, Dieu sans pensée, sans amour, qui ne laisse à l’ame humaine d’autre asile que l’abrutissement de l’extase.

Voilà le Platon, voilà l’Aristote de nos nouveaux péripatéticiens. Entre mille questions qu’on pourrait leur adresser, je serais particulièrement curieux de savoir comment ils nous expliqueraient la philosophie du XVIe siècle. Quoi ! cet Aristote, si profondément d’accord avec l’esprit du christianisme, il se trouve qu’aussitôt qu’on a commencé de le connaître et à mesure qu’on l’a mieux connu, on l’a jugé de plus en plus contraire à la philosophie de l’église ! Quoi ! Pomponace, Zabarella, Cesalpini, ont moins bien compris Aristote que ne faisaient Raban Maur et Pierre le Lombard ! Quoi ! c’est au moyen-âge seulement qu’on s’est aperçu de l’harmonie parfaite de la métaphysique d’Aristote et des dogmes du christianisme ! et saint Justin, saint Clément, saint Athanase, saint Augustin, ne s’en étaient pas douté ! et ils s’étaient accordés à lui préférer Platon ! Quel amas d’impossibilités ! Évidemment, si nos péripatéticiens ont raison, le XVIe siècle reste une énigme impénétrable. Essayons pourtant de la déchiffrer, et prouvons par quelques argumens très simples et très décisifs que, le vrai Aristote étant contraire au christianisme autant que le vrai Platon lui est conforme, il a fallu que le XVIe siècle retrouvât le vrai Aristote et altérât le vrai Platon pour les faire servir tous deux au renversement de la scholastique.


I.

Tout le monde sait que le moyen-âge ne connut d’abord d’Aristote que sa logique. Or, la logique d’Aristote est parfaitement indépendante de son système proprement dit. Des yeux clairvoyans peuvent bien reconnaître dans les Catégories et surtout dans les Analytiques la trace de certaines vues particulières sur l’intelligence et sur l’ame humaines ; mais, au total, l’Organon reste un monument distinct et complet. En général, la logique est un terrain neutre pour les philosophes. C’est dans ce sens qu’il faut entendre le mot spirituel et profond de Dante, que le diable, lui aussi, est bon logicien. Qu’est-ce en effet que le syllogisme, sinon un pur instrument qu’on peut mettre indifféremment au service des doctrines les plus contraires ? Or, ce n’est point telle ou telle doctrine que le moyen-âge pouvait demander à Aristote, Le moyen-âge avait la sienne, que lui enseignait l’église et à laquelle il donnait toute sa foi ; mais elle était bien haute, cette doctrine. Il était bien profond, bien épuré, le spiritualisme de saint Paul et de saint Augustin. Que de difficultés à lever, de contradictions à résoudre, de lacunes à combler ! Venu de sources diverses, résultat compliqué de la sagesse des