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révolutionnaires, les hommes de la renaissance ne savent qu’imparfaitement ce qu’ils font. Chose remarquable, ce n’est point vers l’avenir que se tournent leurs espérances, mais vers le passé. Que font les grands artistes de cette époque, les Brunelleschi, les Michel-Ange, les Germain Pilon, les Pierre Lescot, les Jean Goujon ? Épris des types merveilleux de l’antiquité, ils veulent substituer aux formes vieillissantes de l’art gothique les beautés rajeunies de la Grèce et de Rome. Dans un ordre de réformes bien différent, c’est encore à une restauration que Luther, Zwingle, Calvin, s’imaginent travailler. Interrogez les écrits de ces pères du protestantisme, en qui nous saluons les plus hardis des novateurs ; sous les violences de l’homme de parti, vous trouverez le théologien austère et subtil qui de la meilleure foi du monde croit restituer le pur christianisme de saint Paul, et caresse avec une naïve ardeur la chimère d’un retour à la primitive église. Dans la philosophie de la renaissance, même contraste. Tout l’effort de ses plus hardis interprètes se réduit à ranimer quelqu’un des systèmes de l’antiquité. Certes, on n’a pas plus d’imagination que Marsile Ficin, une humeur plus entreprenante, un esprit plus souple et plus ouvert que Pic de la Mirandole, plus de subtilité que Cesalpini, plus d’esprit que Telesio, plus de fougue et d’audace dans la pensée et dans le caractère qu’un Pomponace, un Ramus, un Bruno, un Vanini, un Campanella. Eh bien ! quiconque dépouillera les conceptions de ces ardens génies de certaines formes bizarres, qui leur prêtent une apparente originalité, s’assurera qu’il n’en est pas une seule qui n’ait sa source, prochaine ou éloignée, dans les deux grandes écoles de la Grèce, celle d’Aristote et celle de Platon. On a beau s’exalter à Florence et à Rome ; on a beau raffiner à Bologne et à Padoue ; on a beau courir le monde et les universités, faire retentir Genève, Paris, Oxford, Wittemberg, de ses protestations contre la routine et l’antiquité : cette antiquité sainte dont on dissipe le prestige, c’est par une autre antiquité qu’on la veut remplacer. Le platonisme et l’aristotélisme, telles sont les deux seules machines de guerre dont on se serve pour miner et pour abattre la scholastique.

Ainsi, c’est Aristote et Platon qui, au XVIe siècle, ont vaincu la philosophie de l’église. Voilà un phénomène historique assez étrange. Comment cet Aristote, qui depuis trois siècles dominait en roi dans l’école et dont l’autorité semblait être entrée en partage de l’infaillibilité de l’église, cet Aristote qui n’était pas seulement pour le moyen-âge un grand philosophe, mais le philosophe, et qui n’échappa qu’avec peine à l’honneur bizarre d’être inscrit au nombre des saints, comment ce même Aristote a-t-il pu devenir, d’interprète consacré de la philosophie de l’église, l’oracle de ses plus décidés adversaires ? Et, d’un autre côté, n’est-ce point une chose fort surprenante de voir le platonisme