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s’en proclamer le chef. C’est le même homme qui laissa monter à l’échafaud Mme de Sainte-Amaranthe et sa famille, après s’être assis à sa table, après y avoir parlé en dictateur maître de l’avenir. On avait cru, sur plusieurs témoignages, que Robespierre, au dernier moment, avait eu le courage d’une mort volontaire ; mais non. Le coup de pistolet qui lui perça la lèvre gauche et lui fracassa les dents fut tiré par un gendarme nommé Méda. C’est ainsi que, par l’inflexible vérité des faits, M. de Lamartine est contraint de montrer l’homme dans lequel il a voulu incarner la cause de la démocratie, sans coup d’œil, sans résolution politique, sans courage moral, sans une de ces inspirations, sans un de ces mouvemens qui ravissent la victoire, ou du moins ennoblissent la défaite.

Il est vrai que l’historien des girondins abandonne et sacrifie facilement ses héros après les avoir mis sur le pavois. Nous avons vu comment il avait fini par caractériser les amis de Mme Roland. Il a aussi pour d’autres personnages des momens de prédilection, puis des retours de sévérité, et il n’est pas rare qu’il laisse dans l’esprit des impressions contradictoires. Il nous dira de Danton qu’il joua le grand homme et ne le fut pas. Cependant, plus loin, Danton est le colosse de la révolution, et, quand il a disparu, la cime de la convention paraît moins haute. D’autres fois, M. de Lamartine prend le parti d’adopter les jugemens et les points de vue que les parties intéressées ont consignés dans leurs mémoires ; ainsi a-t-il fait pour Dumouriez. On voit qu’il a été sous le charme du récit de ce général. Les mémoires de Mme Roland ont été aussi découpés d’une manière brillante. Dans le deuxième volume, M. de Lamartine parle avec admiration du génie de Mme Roland, et avec assez de dédain de la médiocrité du mari. Au septième volume, cette femme célèbre n’est plus tout-à-fait traitée avec la même faveur, et le mari est comparé à la fois à Caton et à Sénèque. Dans sa course rapide, M. de Lamartine oublie parfois non-seulement ce qu’il a écrit au début, mais aussi la mesure et la justesse dans les rapprochemens et les comparaisons. A-t-il le temps de peser les choses et les mots ?

Bossuet, dans l’un de ses sermons, nous représente l’homme obligé de précipiter la course de la vie sous l’empire d’une irrésistible fatalité. La loi est prononcée, il faut avancer toujours. On voudrait arrêter ; marche, marché. En écrivant l’Histoire des Girondins, M. de Lamartine a pu se rappeler ces impérieuses paroles. Lui aussi il eût voulu s’arrêter, parfois retourner sur ses pas, revoir ce qu’il avait traversé ; mais il fallait marcher, il fallait courir. Nous n’apprendrons rien à M. de Lamartine en lui signalant les conséquences fâcheuses de cette précipitation ; il les connaît mieux que nous. Il sait dans quels endroits de son livre il a incorporé des phrases, des pages entières des mémoires relatifs à la révolution, tantôt à propos de la captivité du Temple et du