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C’est un dessein bien pris. M. de Lamartine a résolu d’écrire l’histoire, et c’est l’histoire de la révolution française qu’il a choisie. Un sujet pareil répond à toutes ses intentions, à tous ses désirs : il doit lui permettre de développer à son aise les théories démocratiques, qui ont désormais toutes ses prédilections ; il lui offre aussi l’occasion d’une lutte littéraire avec un grand talent que déjà en maintes circonstances il s’est attaché à combattre. Enfin, avant qu’il ait pris la plume, les amis de M. de Lamartine annoncent que l’école fataliste et révolutionnaire va rencontrer un contradicteur qui vengera éloquemment la moralité politique.

C’est ici qu’il faut admirer l’invincible ascendant du naturel et son empire indélébile. Ce que M. de Lamartine a conçu avec l’instinct de l’ambition politique, il l’exécute en artiste impatient ; il avait compris quelle force pouvaient lui apporter dans l’avenir des travaux solides et sérieux, fruit d’une réflexion longue et profonde, et il prend l’engagement d’écrire huit volumes en dix-huit mois ; il l’a tenu. C’est vraiment un prodige. Peut-être néanmoins n’est-il pas impossible de s’en rendre compte.

En face de la réalité, tout historien sérieux reconnaît qu’il a l’obligation de l’étudier tout entière, qu’à ce prix seul il pourra discerner où commence véritablement son sujet, et jusqu’où il s’étend. Il sait que la connaissance complète des faits peut seule lui livrer la vérité, l’empêcher de se méprendre sur le caractère, sur la valeur relative des événemens et des hommes. M. de Lamartine a-t-il eu tant de scrupules et de précautions, quand il a voulu peindre la réalité ? Au lieu de l’approfondir, ne lui a-t-il pas plutôt donné l’empreinte de son imagination ? N’a-t-il pas fait dans le domaine de l’histoire ce qu’Horace se permettait quelquefois dans la pratique de la vie ?

Et mihi res, non me rebus submittere conor.


Je le vois d’abord qui taille l’histoire comme un poème : il lui faut une action saisissante, des héros remplissant les conditions de la tragédie, assez vertueux et très infortunés. Ainsi l’histoire de la révolution française devient sous sa plume l’histoire des girondins, qu’il commence au lit de mort de Mirabeau et termine par l’échafaud de Robespierre. Tout cela n’est-il pas dramatiquement combiné ? Le drame sera tellement pathétique, que, sans craindre de le refroidir, l’auteur pourra semer çà et là des généralités, des théories. D’ailleurs, pour que l’attention du lecteur ne languisse pas, l’écrivain la stimulera par des assaisonnemens du plus haut goût. Nous aurons à chaque pas dans cette histoire les surprises, les effets du roman. La biographie prendra des proportions sans mesure et usurpera la place que devraient occuper les événemens politiques. L’écrivain multipliera les portraits et leur prodiguera les plus riches couleurs de sa palette : dans le récit des aventures