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seul jour est au moins de cinq mille. Le maître du logis vint nous trouver et nous demanda si nous voulions permettre aux dames de venir nous voir. Je répondis naturellement : Qu’elles viennent. Ainsi tout le jour se passa à recevoir ces aimables visiteuses. » Les princes étaient assis sur un divan, les jambes croisées à la manière orientale, et lorsqu’entrait une personne de marque, ils se levaient, posant les pieds non pas sur le parquet, mais sur le divan même, ce qui leur donnait une attitude fort plaisante. « Une fois nous étions assis, continue Najaf, lorsqu’apparut à nos yeux une planète dont le lever les éblouit. Je pris courage, je touchai ses belles mains de jasmin et l’invitai à s’asseoir. Quelle vie pour le cœur !… Quel est le courage de derviche qui résisterait à tant de majesté ? Nous priâmes toutes les dames qui vinrent nous voir, — et à leur vue nous oubliions notre patrie, — de vouloir bien écrire leurs noms. A la fin du jour, le catalogue de ces très illustres houris contenait environ mille noms. » On conçoit que la conversation n’était pas très animée, au grand déplaisir des deux parties. On trouva pourtant moyen d’établir une causerie assez amusante. « Nous nous fîmes, dit Najaf, maîtres d’école et écoliers tout à la fois, enseignant des mots persans, apprenant quelques mots anglais. On traduisait par signes et avec l’aide des doigts, ce qui nous faisait tous beaucoup rire. »

Malgré toutes les hyperboles flatteuses de leur vocabulaire, les princes persans n’étaient pas des admirateurs aveugles, mais bien plutôt des juges assez difficiles. Il ne faut pas se fier à leur livre ; nous avons vu déjà qu’ils ne s’y mettaient pas tout entiers ; c’est dans leurs causeries intimes qu’il faut en chercher le complément et le correctif. L’un d’eux accompagnait un jour M. Fraser à l’exposition de la société d’horticulture. Les étagères étaient splendidement garnies, les avenues coquettement remplies : Londres faisait l’exhibition de toutes ses fleurs. Le prince, c’était l’ascétique Najaf, commença par s’ennuyer beaucoup, selon sa coutume ; puis, ayant su qu’on pouvait se procurer des rafraîchissemens, il s’assit et but à petits coups trois verres de vin de Porto. C’en fut assez pour lui rendre sa gaîté et pour le mettre même en veine de satire. Le jeune Persan qui, comme nous l’avons dit, avait la vue fort basse, voyait avec satisfaction plus d’une fraîche toilette se diriger de son côté. Il attendait patiemment jusqu’à ce que l’amorce infaillible de la curiosité féminine amenât tout près de lui les élégantes promeneuses ; mais alors son attente était souvent trompée. « Ces dames sont d’habiles mensonges, disait-il ; les brillantes couleurs de leurs vêtemens promettent la beauté ; elles approchent, elles sont vieilles et laides. Quelles parures ! mais, hélas ! quelles femmes ! Que ne s’habillent-elles suivant leur âge ! » Le prince était de l’avis de Byron : il goûtait peu les graces languissantes et faibles de ces pâles filles