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Quant aux défauts et aux ridicules de la société opulente, on devine que les regards de Mohan Lal se sont surtout arrêtés sur les femmes. Voici une peinture assez piquante de la manière dont se font les mariages :


« Les jeunes filles sont élevées sous les yeux vigilans de leurs mères, et, lorsqu’elles ne laissent rien à désirer sous le rapport de leur langage et de leurs manières, les parens n’épargnent ni dépenses ni fatigues pour les introduire dans la société, où elles ont à jouer un rôle difficile. La jeune personne doit être gracieuse, savoir chanter, danser, lire, écrire et parler au moins le français, si elle ne connaît pas d’autre langue étrangère. Les parens donnent des bals et invitent tout ce qu’ils connaissent de monde élégant. Ils sont fiers si leur fille gagne le cœur de quelque personne respectable ; mais, hélas ! tous ces talens, joints à des merveilles de beauté, sont regardés comme des choses secondaires : la jeune dame doit avoir de l’argent pour son mari, ou du moins l’espérance d’en posséder quand ses parens mourront. Dans tous les pays d’Asie, si une femme vit dans le célibat après avoir passé l’âge ordinaire du mariage, on la regarde comme une sainte, et encore cela arrive-t-il rarement. L’Angleterre a de quoi étonner les Asiatiques en leur offrant des milliers de saintes, je veux dire de femmes non mariées et pourtant d’un âge mûr, portant toutes le nom de mademoiselle et le costume d’une jeune fille de quinze ans. A mon arrivée en Angleterre, je me sentais tout embarrassé en adressant à une vieille et très respectable dame ce titre de mademoiselle, qu’il me fallait donner en même temps à une jeune personne qui paraissait sa petite-fille. Quand on parle de mariage, la première question est celle-ci : A-t-elle de l’argent ? Un gentleman pourra prodiguer les complimens et les contredanses à plusieurs jeunes filles dans une soirée, mais il ne manquera pas de choisir et d’épouser celle qui a, ou qui aura le plus d’argent, fût-elle d’ailleurs laide et sans grace. Dans un cas semblable, la dame sent parfaitement qu’elle n’a d’autres charmes que ceux de ses billets de banque ; néanmoins les règles de la société enfouissent toutes ces arrière-pensées dans le cœur des nouveaux mariés, et leur style, quand ils s’écrivent, ou se parlent, est précisément celui du plus pur et du plus tendre amour. L’âge n’est pas davantage un empêchement au mariage, dès que la richesse établit une compensation. Malgré cela, on voit plusieurs exemples de véritables affections et d’heureux mariages. Il y a un endroit, nommé Gretna-Green, en, Écosse, où une personne qui n’est pas prêtre, et que les journaux, disent être un forgeron, a le droit, d’après les lois du pays, de marier les jeunes gens avant l’âge et sans aucune des formalités nécessaires en Angleterre. Pendant mon séjour à Londres, il y eut un exemple de véritable attachement, et une jeune dame de noble famille fut mariée à Gretna-Green[1]. »


Voilà certes une page pleine de bon sens et même de malice. Mohan

  1. C’était en effet un forgeron qui célébrait autrefois ces mariages ; aujourd’hui le maître de poste de Gretna-Green lui a succédé.