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cette ville, qui, « par sa prodigieuse étendue et la multitude de ses habitans, peut être considérée comme la réunion de toutes les cités qui couvrent la face du monde. » Il a admiré la propreté, l’éclairage de ses rues, le tumulte régulier des affaires et du commerce, et il s’est demandé « où ces gens-là trouvaient le temps de dormir. » Mais lui-même ne trouve pas le temps de nous peindre tout ce qu’il rencontre : il traverse tout au pas de course, pressé qu’il est de répondre aux invitations qui l’assiégent. Les Burnes, les Elphinston, les Hogg, les Pottinger, les Elliot, et vingt autres gentlemen de la plus haute respectabilité, se disputent le plaisir de l’avoir à leur table. Son atmosphère, à lui, ce sont les splendides salons des directeurs de la compagnie des Indes, atmosphère un peu étouffante pour l’enfant des montagnes de l’Asie, qui, à l’île de Wight, se baignait tous les jours en mer au mois d’octobre, qui, à Londres, ne ferme ses fenêtres ni nuit ni jour, et court la ville vêtu d’une fine chemise de satin et d’un large pantalon blanc. Néanmoins il s’y acclimate assez bien ; il prend goût aux aristocratiques sourires, aux soirées élégantes, à l’amitié toute maternelle des jeunes dames de Londres, aux naïves caresses de leurs enfans, qui s’asseient sur ses genoux sans craindre sa noire moustache, et qui, long-temps après, se rappellent encore « le monsieur étranger aux beaux habits brillans. » Il visite même le prince Albert, qui le fait mander, et il le quitte enchanté, comme tout le monde, de son affabilité et de sa bonne grace. Après cela, comment pourrait-il s’amuser à nous décrire tout ce qu’il voit, tout ce qu’il sent ? Il jette pêle-mêle, en quelques lignes, Saint-Paul et Westminster, les vaisseaux et les ponts de la Tamise, le diorama et les chambres nouvelles, l’institution polytechnique et le Colisée, enfin les théâtres, qui, par leurs brillantes décorations, lui rappellent les jardins féeriques dont la description amusait son enfance. Il n’a pas grand’chose à dire sur la beauté ni sur la modestie des actrices ; il trouve cependant que le public les traite avec respect, et il apprend avec satisfaction qu’elles font quelquefois d’illustres mariages.

On comprend que, dans cette espèce d’enivrement du monde, Mohan Lal doit jeter un coup d’œil peu sévère sur la société qui l’entoure. Cependant il est le seul de nos voyageurs qui semble se douter de l’affreuse misère que recouvre cette trompeuse dorure. Il est vrai qu’il a été en Irlande. « C’était, dit-il, un spectacle déchirant de voir les hommes et les femmes, entourés d’une nombreuse famille, marcher sans chaussures et à demi nus par le froid le plus rude. Les Irlandais sont hospitaliers : j’étais bien reçu dans toutes les chaumières, et les fermiers paraissaient enchantés de m’offrir un morceau de pain et un verre de bière ; mais je voyais en général les pauvres habitans ne vivre que de pommes de terre. »