du tout, répondirent-ils sans périphrase orientale, cela ne vaut pas la peine d’être écouté. » Mlle Grisi trouva pourtant grace devant eux ; encore leurs yeux furent-ils plus séduits que leurs oreilles. « Sa voix est charmante, disait Riza, mais j’en donnerais bien vingt pareilles pour ses bras. » Les costumes, les décors, les changemens à vue, la pantomime des acteurs, obtinrent complètement leurs éloges, la danse surtout les ravit ; mais nous serions tenté de voir dans cette admiration passionnée autre chose que l’amour de l’art pour l’art. « Je suis heureux, disait le jeune Timour, d’être habitué à voir les danses des femmes du châh, autrement il y aurait de quoi devenir fou. » De retour à Mivart’s hotel, Riza, l’aîné des princes, consignant ses souvenirs de la soirée, terminait par ces mots : « A la fin de la pièce, la danse commence. Vous qui avez un cœur, que vous dirai-je ? Figurez-vous de belles jeunes femmes dansant avec de jeunes hommes (en Orient les femmes dansent seules) ! Non, la plume ne peut courir, l’œil est forcé de s’arrêter, l’infortuné Riza est contraint de laisser ici son cœur et de retourner à sa résidence. » Et le dévot Najaf écrivait à son tour : « Qu’écrirai-je ? que dois-je dire ? Rien que ce qui a été dit par les saintes lèvres (par Mahomet) : le monde est la prison des croyans et le paradis des infidèles. En vérité, il ne manque rien à ce paradis, excepté cette grace que le Dieu de l’univers a promise à ses fidèles serviteurs dans le monde de là-haut. Le leur est fait de main d’homme et passager ; le nôtre est éternel et durable. Le vin de son plaisir n’est pas fait d’une matière mortelle. »
N’allez pas croire que les jeunes princes fussent insensibles à toute espèce de musique. « La musique, écrit Najaf, fait oublier à l’exilé la douce maison paternelle. » Cette phrase n’est pas une de ces vaines formules où l’exagération du langage dissimule mal la fausseté du sentiment. Les princes aimaient passionnément la musique appropriée à leurs organes et à leurs goûts. Un jour, M. Fraser devait les conduire à l’Opéra-Italien. On donnait la Sonnambula. Dès qu’il entra à Mivart’s hotel : Bonne nouvelle ! Fraser Saheb[1], s’écrièrent les princes, nous avons un instrument de musique de notre pays. Il faut que vous entendiez Timour ; c’est un virtuose des plus distingués. Il a étudié dix ans la musique. M. Fraser fit observer en vain qu’il était tard, que l’opéra allait commencer. — Oh ! patience ! dit Najaf, nous aurons bien assez d’opéra. Asseyez-vous. — On apporta la centara. Timour s’assit par terre, la plaça devant lui ; les autres écoutèrent dans un religieux silence. Timour, faisant voltiger ses doigts sur les fils d’archal de son instrument, en tirait d’aigres sons qui lui causaient ainsi qu’à ses frères
- ↑ Saheb signifie ami ; c’est le titre que les Persans ajoutent au nom de tous les chrétiens avec lesquels ils sont en relation.