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mais ils frémissent à la pensée d’un voyage en Europe, dans ce pays barbare et infidèle où il n’y a ni mosquées ni mollahs. La mer surtout leur cause une horreur profonde ; affronter ses périls n’est pas courage, mais folie. Les princes n’hésitèrent pourtant pas à entreprendre cette longue navigation. Tous leurs amis de Beyrouth descendirent sur le rivage pour les accompagner. Une demi-heure avant le coucher du soleil, les exilés leur dirent adieu et s’embarquèrent « sur la mer de l’Occident, dont les vagues en colère crient continuellement contre leurs cavaliers. » Najaf retrouvait ainsi, sous l’inspiration d’un sentiment vrai, la belle image de Byron : « Les vagues bondissent sous moi comme un coursier qui connaît son maître[1] ; » mais les cavaliers persans connaissaient peu ce coursier à l’écumeuse crinière : aussi la première émotion fut-elle toute physique. Ils se roulaient au hasard dans la cabine, indifférens à tout ce qui se passait autour d’eux. Le lendemain seulement, ils ouvrirent un peu les yeux ; le bruit des roues, la vitesse du vaisseau, le miracle de la vapeur, les jetèrent dans un grand étonnement. Bientôt la surprise fit place à la frayeur : un matelot vint fermer les sabords, et, à leurs questions inquiètes, on répondit qu’avant douze heures on aurait à subir un ouragan. « Allah ! quelle nouvelle ! après ce que nous avions déjà souffert et ce que les Anglais regardaient comme rien, à quoi devions-nous donc nous attendre, maintenant qu’ils n’étaient pas eux-mêmes sans crainte ! Ce qui leur prédit la tempête, c’est un tube de cristal où ils placent du mercure, qui s’élève ou descend selon l’état du temps ; ainsi notre existence à tous était contenue dans ce verre. » Le baromètre ne fut pas faux prophète. « Le vent continua de grandir, et toutes les vagues de la mer occidentale s’élevèrent en montagnes avec un bruit affreux jusqu’à la planète de Méchétéri (Jupiter). Nous étions si misérables, que nous avions perdu tout espoir. Le navire s’élevait quelquefois jusqu’au septième ciel et descendait ensuite jusqu’à la septième terre, ou jusqu’aux épaules du taureau qui supporte le monde. » L’auteur décrit ensuite les manœuvres de l’équipage, le sifflet du capitaine, le silence obéissant des matelots. C’est une tempête plus qu’homérique, dépeinte avec une imagination plus jeune que celle d’Homère. Le merveilleux même ne manque pas à la ressemblance. Najaf se ressouvint qu’ils avaient avec eux de la poussière de la tombe du seigneur des martyrs[2] : il se fit porter par quatre hommes sur le pont. Quel spectacle se découvrit à ses regards ! Les vagues ressemblaient à un déluge… Le prince ferma les yeux et jeta dans la mer quelques grains de la poussière sainte ; à l’instant, les flots devinrent beaucoup plus calmes, et

  1. Childe-Harold, III, p. 1.
  2. L’iman Hossein, la cinquième personne honorée par les partisans d’Ali, à partir de Mahomet. Sa tombe est près de Bagdad.