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avis, d’une manière toute particulière, ce qui leur donne une physionomie toute spéciale, c’est la simplicité presque familière du début et l’adresse merveilleuse avec laquelle l’auteur s’élève de strophe en strophe jusqu’aux plus hautes pensées. Il ménage si bien ses forces, il met tant de naturel dans les transitions, il enchaîne si habilement toutes ses idées, que le lecteur se trouve transporté comme à son insu dans les plus hautes régions de la fantaisie. Dans les canzoni de Pétrarque, les premières strophes ont presque toujours le ton de l’épître ; elles annoncent rarement le ton des strophes qui vont suivre. Ce contraste entre le début et le reste de la composition, facile à constater, est d’ailleurs si bien déguisé, qu’il ne saurait offenser le goût. Une des plus gracieuses canzoni est celle où le poète s’adresse au ruisseau qui a reçu dans ses ondes limpides le beau corps de la femme qu’il aime. Il porte envie aux fleurs qui émaillent les rives bénies de ce ruisseau, aux fleurs qu’elle a foulées, à celles qui sont tombées sur ses blanches épaules, sur les tresses dorées de sa chevelure. Il y a dans l’expression de ces sentimens une délicatesse, une simplicité pleines de charme ; chaque parole ressemble à une caresse. Peu à peu la tendresse prend l’accent de la mélancolie. Le poète pense à la mort, et il adresse au ciel une prière fervente : il demande à reposer sous les fleurs que Laure a foulées, au bord du ruisseau qui l’a reçue dans ses ondes limpides. Un jour peut-être, elle arrosera de ses larmes le tombeau de l’homme qui l’a tant aimée. Il est impossible de lire sans émotion cette pièce dont chaque vers respire la sincérité la plus parfaite. Quoique toutes les paroles soient choisies avec un art infini, il semble que ces strophes n’aient pas coûté au poète un instant de réflexion, tant elles ont de naturel et de liberté dans leur mouvement ; toutes les pensées ont une forme si précise, qu’il serait impossible de la changer, de la modifier sans altérer d’une manière fâcheuse le caractère de la composition. A ceux qui accusent Pétrarque d’une prédilection exclusive pour les idées ingénieuses ; on peut offrir cette canzone comme une éloquente réfutation de leur opinion. Si, après l’avoir lue, ils persistent dans leur accusation, c’est qu’ils prendront plaisir à nier l’évidence. S’obstiner à vouloir les convaincre serait perdre son temps et ses paroles. Quant à ceux qui se laissent aller naïvement à leurs émotions et les traduisent avec franchise, sans s’inquiéter des formules accréditées, leur avis ne saurait être douteux : ils verront certainement dans cette canzone un chef-d’œuvre de tendresse et de mélancolie.

Pétrarque a écrit sur les yeux de Laure trois canzoni connues sous le nom des Trois Sœurs. En traitant trois fois le même sujet, il a trouvé moyen d’être toujours nouveau. Quoique l’éloge de la beauté tienne une large place dans ces trois compositions, cet éloge est bien loin d’occuper seul la pensée du poète. Il règne dans ces canzoni, dont le