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Le bonheur de Laure ne peut être compris par l’intelligence humaine, et pourtant Laure attend son amant dans le ciel. Son bonheur ne sera pas complet tant qu’ils ne seront pas réunis. Pourquoi a-t-elle ouvert la main qui tenait la mienne ? s’écrie le poète éploré. Au son de ses paroles compatissantes, peu s’en est fallu que je ne restasse dans le ciel. Il faut lire dans l’original cet admirable sonnet que je ne veux pas traduire. La fidélité la plus scrupuleuse, l’interprétation la plus littérale ne réussirait pas à rendre le charme divin qui respire dans chaque vers. Jamais l’amour ne s’est exprimé avec plus de délicatesse, jamais le regret ne s’est révélé sous une forme plus pathétique, jamais l’espérance d’une vie meilleure et d’une réunion ardemment désirée n’a trouvé des accens plus pénétrans. Le cadre du sonnet est tellement étroit, qu’il semble impossible, en l’acceptant, de donner à la pensée toute la grandeur que permettrait le nombre indéfini des strophes d’une ode. Pétrarque a démontré victorieusement par le récit de cette vision céleste qu’il y a place, même dans le cadre étroit du sonnet, pour le développement complet des idées les plus sublimes. Toute la difficulté consiste à choisir les traits caractéristiques de l’idée qu’on veut exprimer. En réduisant la donnée poétique à ses élémens principaux, en négligeant tous les élémens secondaires, on élargit le cadre qui d’abord semblait si étroit. Mais, pour faire le choix dont je parle, le goût le plus sûr ne suffit pas ; le génie seul saisit par intuition les traits caractéristiques, le génie seul sait éliminer hardiment tout ce qui n’a pas une véritable importance. Aussi ne conseillons-nous à personne d’enfermer sa pensée dans les quatorze lignes d’un sonnet. L’ode ou l’élégie, qui offrent au poète plus d’espace et de liberté, nous semblent devoir être préférées dans la plupart des cas. Cependant je ne crois pas que la pensée de Pétrarque, développée dans de plus larges proportions, eût rien gagné à cette métamorphose. Toutes les parties essentielles de la donnée se trouvent très nettement rendues dans le sonnet dont je parle ; l’ode ou l’élégie ne pouvaient rien ajouter qui rendît l’émotion plus profonde. Ici la sobriété dans l’expression était de nécessité absolue ; si le poète, au lieu de raconter en quelques lignes son entretien avec Laure, eût multiplié les détails, la divine vision n’aurait pas eu, j’en suis sûr, la grandeur et la grace touchante qui excitent dans l’ame du lecteur une si légitime admiration.

Les canzoni sont de véritables odes divisées en strophes régulières. Dans ce genre de composition, comme dans le sonnet, Pétrarque a touché les dernières limites de l’art lyrique ; il sert encore aujourd’hui de modèle et de guide à tous ceux qui veulent s’aventurer dans cette voie difficile. L’élégance et la noblesse du style n’ont jamais été portées plus loin, et cependant ces deux qualités si précieuses ne recommandent pas seules les canzoni de Pétrarque. Ce qui les caractérise, à mon