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ni les reproches ni l’ironie. Le miroir où Laure prend plaisir à se contempler, les perles et les fleurs qu’elle mêle à ses cheveux excitent à bon droit la colère de l’amant et amènent sur ses lèvres des paroles sévères. C’est en s’admirant sans relâche que Laure apprend à ne pas aimer ; c’est en attachant sur son image un regard ébloui qu’elle enseigne à son cœur l’oubli et le dédain. Un jour le poète conçoit les espérances les plus hardies, il croit toucher au bonheur ; son espérance est déçue, et il se plaint avec amertume. Si cette plainte est sincère, si les reproches qui l’accompagnent ne sont pas un caprice d’imagination, Laure, malgré l’immuable pureté de toute sa vie, aurait laissé s’échapper de sa bouche une promesse imprudente. Qu’avait-elle promis ? Pétrarque ne le dit pas d’une manière formelle ; mais, sous la discrétion de son langage, il est facile de deviner toute la hardiesse de ses espérances ; il compte les heures et il s’écrie : Si mon aveugle désir ne m’égare pas, le moment promis à la pitié est maintenant arrivé. Ces mots semblent indiquer assez clairement un rendez-vous auquel Laure a manqué. Puis il ajoute : Quel vent cruel a tué la semence qui allait éclore et donner le fruit désiré ? Quelle muraille s’est élevée entre ma main et l’épi ? Si cette plainte ne doit pas être prise dans un sens général, si, au lieu de s’appliquer à une série d’espérances déçues, elle désigne un jour, une heure, promis à la pitié, si la muraille placée entre la main et l’épi n’a pas une signification purement figurée, on conçoit quel dut être le désespoir de l’amant trompé dans son ambition. A coup sûr, il n’y a dans le ton de cette plainte rien qui justifie l’accusation portée habituellement contre Pétrarque ; il n’y a pas un vers dans ce sonnet qui manque de franchise et de vivacité. Quelle que soit l’interprétation à laquelle on s’arrête, qu’on prenne ce morceau dans le sens littéral ou dans le sens figuré, il est impossible de méconnaître le mérite singulier de l’expression. Toutes les images conviennent parfaitement à la pensée ; l’analogie est fidèlement respectée. L’arrangement des mots n’a rien de laborieux ; l’art du poète est si parfait, qu’il réussit à se cacher tout entier. Il y a dans la forme tant de spontanéité, tant d’abondance, qu’on oublie d’admirer l’harmonie des vers pour s’associer au désespoir de l’amant. Combien d’autres sonnets dans le Canzoniere méritent la même louange ! Combien d’autres parlent au cœur dans une langue qui n’a jamais été surpassée !

Le plus beau, le plus grave, le plus complet à mon avis de tous les sonnets de Pétrarque, c’est celui où le poète raconte son entretien dans le ciel avec Laure morte depuis plusieurs années. Il y a dans le récit de cette vision un accent qui rappelle le style des prophètes. Ravi par sa pensée jusqu’à la troisième sphère qu’habitent les amans, le poète revoit plus belle et moins fière celle qu’il a tant aimée. Elle le prend par la maire, et d’une voix angélique lui annonce qu’un jour il sera près d’elle.