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semble inviter aux douces rêveries, à toute heure, en tout lieu, l’amant de Laure était toujours le même. Face à face avec sa conscience, il avait beau chercher dans le spectacle de la nature une distraction à ses souffrances ; l’inexorable voix de son cœur le ramenait vers l’image adorée et fermait ses yeux à la beauté du paysage, ou, s’il lui arrivait de contempler d’un regard attentif les vallées qui s’étendaient à ses pieds, les montagnes qui se dressaient devant lui, les plaines fleuries ou dorées qui se confondaient avec l’horizon, les nuages qui passaient sur sa tête, dans chaque objet il retrouvait quelque chose de Laure. Dans les blés, il revoyait sa blonde chevelure ; dans le murmure des feuilles agitées par le vent, il entendait le bruit de ses pas ; dans la plainte du ruisseau dont les flots limpides venaient expirer sur la grève, il écoutait le chuchotement de sa voix. Parfois dominé par son illusion, il parlait à Laure comme si elle eût été près de lui, et il s’étonnait d’attendre inutilement sa réponse. Ainsi le voyage, au lieu de le calmer, au lieu de le guérir, redoublait son trouble et son agitation. Chaque matin il quittait le gîte où il avait passé la nuit, chaque matin il reprenait son bâton de pèlerin ; ses yeux voyaient de nouveaux horizons ; il fatiguait, il brisait son corps avec acharnement, mais il ne pouvait réussir à chasser de son cœur l’image adorée, et bientôt, las de cette lutte haletante, il se prenait à regretter l’air que Laure respirait, les sentiers où elle imprimait ses pas, l’ombre qui l’abritait, les haies discrètes derrière lesquelles il s’était caché pour apercevoir son beau front ou ses lèvres vermeilles qu’un voile jaloux dérobait à peine à l’avide curiosité de l’amant. Il regrettait jusqu’aux reproches, jusqu’à l’impatience, jusqu’à la colère qu’il avait lue dans les yeux de Laure. Ses souffrances, qu’il avait reprochées au ciel comme autant d’injustices, lui revenaient maintenant en mémoire comme autant de momens fortunés, comme des heures bénies, à jamais dignes de reconnaissance, et il demandait pardon à Dieu d’avoir blasphémé, d’avoir méconnu son bonheur, et son cœur s’exhalait en actions de graces.

Il revenait près de Laure, résolu à jouir pleinement de sa présence, à s’enivrer de sa vue, à ne plus accuser le ciel, à ne plus se rendre coupable d’ingratitude envers Dieu, qui avait mis un ange sur sa route ; mais bientôt, hélas ! sa douleur renaissait plus vive, plus cuisante, plus impitoyable que jamais. Consumé de désirs que la possession pouvait seule apaiser, trop sûr que la femme en qui se résumait pour son cœur le monde entier ne serait jamais à lui, il n’envisageait l’avenir qu’avec désespoir. Vainement se disait-il qu’il devait s’applaudir de l’avoir retrouvée, de respirer l’air qu’elle respirait, de pouvoir se placer sur son passage et rencontrer son regard : son cœur se taisait devant les reproches de sa raison ; à peine la raison avait-elle cessé de parler, à peine avait-elle épuisé les argumens qu’elle croyait victorieux, que