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le traité du Mépris du monde, divisé en trois dialogues, dort les interlocuteurs sont Pétrarque et saint Augustin, on trouve plus d’un passage à l’appui de l’opinion que j’émets ici. L’amant de Laure a désiré, espéré, supplié ; il n’est pas permis d’en douter. Pour nier ses désirs, ses espérances, ses supplications, il faut nier le sens même des mots, l’acception la plus naturelle, la plus légitime, des paroles auxquelles le poète a confié l’expression de sa pensée. Si le désir ne se fût jamais éveillé dans le cœur de Pétrarque, s’il ne se fût jamais enhardi jusqu’à l’espérance, jusqu’à la prière, comment s’expliqueraient les reproches que Laure lui adresse ? Si l’amant n’eût jamais rien demandé, pourquoi Laure lui dirait-elle : Je ne suis pas ce que tu penses ? Se plaindrait-elle dans ces termes d’une adoration muette ou constamment respectueuse ? Pour ma part, je l’avoue, j’ai peine à le croire. D’ailleurs, le désir, l’espérance, la prière, n’ôtent rien à la grandeur de l’amour. Les vœux les plus ardens, lorsque le cœur et la pensée y tiennent autant de place que les sens, ne sauraient être un outrage pour la femme la plus pure, la plus sévère pour elle-même. Aussi voyons-nous que Laure, malgré la vivacité de ses reproches, a rendu pleine justice à la passion de son amant. Elle a résisté, elle n’a rien accordé ; mais sa colère s’est apaisée. Heureuse et fière de l’amour qu’elle inspirait, si elle n’a pas voulu l’encourager, elle n’a pas voulu non plus le réduire au silence. Si elle n’accueillait pas, si elle refusait d’exaucer les vœux qui lui étaient adressés, ces vœux pourtant ne lui déplaisaient pas. Malgré sa ferme résolution de rester fidèle jusqu’au bout à la vertu la plus austère, elle né se plaignait pas, elle ne pouvait se plaindre d’être aimée avec tant de constance et d’ardeur. Il y a dans l’amour de Pétrarque pour Laure une exaltation, une sincérité, qui doivent désarmer le cœur le plus farouche. L’amour ainsi compris, malgré le trouble impérieux dont il ne peut s’affranchir, n’est pas seulement un hymne à la beauté ; c’est aussi un hymne au cœur, un hymne à l’intelligence. Le poète, en effet, ne dit pas à la femme qu’il supplie : Ce que j’aime en vous, c’est votre beauté, votre jeunesse, l’éclat de vos yeux, la fraîcheur de vos lèvres ; il lui dit aussi, il lui dit à toute heure : Votre cœur qui s’associe à tous les sentimens généreux, votre intelligence, qui devine toutes les nobles pensées, m’attachent à vous par une chaîne que le temps ne saurait briser. Votre beauté pâlira, vos yeux perdront leur éclat, vos lèvres leur fraîcheur ; mais la jeunesse en fuyant n’emportera pas mon amour. Votre beauté me ravit ; mais la meilleure partie de vous-même, celle que mes yeux ne voient pas, est-elle moins digne d’adoration et de prière ? J’aime le son de votre voix, j’aime jusqu’au bruit de vos pas, chacun de vos mouvemens semble réglé par une divine harmonie ; mais je ne chéris pas moins tendrement les sentimens cachés au fond de votre conscience, les pensées qui n’arrivent pas sur