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Réaux ; Racine commençait à étudier le grec sous le sacristain Lancelot ; La Fontaine se cherchait lui-même, sans trop se hâter, et suivant volontiers le chemin le plus long ; Boileau avait onze ans, et qu’était Molière, sinon un comédien obscur, parti de Paris la veille et courant les grandes routes avec ses compagnons ? Je doute qu’il y eût un œil assez clairvoyant pour découvrir dans des conditions si diverses cette famille dispersée qui devait un jour représenter le grand siècle. Parmi les maîtres, deux seulement avaient parlé. Quant aux écrivains qui composaient le monde littéraire d’alors, quant à cette foule qui faisait si grand bruit, n’était-ce pas une menace plutôt qu’une promesse ? Quel désordre ! quelle stérilité prétentieuse ! quelle emphatique médiocrité dans cette période de Louis XIII ! Ne soyons donc pas si prompts à nous décourager ; prenons garde d’obéir à un lieu commun et d’abaisser inconsidérément notre siècle. Encore une fois, il a bien commencé et ne doit rien envier au début des plus belles époques ; maintenons ce point, maintenons cette position noblement conquise. Nous avons derrière nous un rempart déjà glorieux, rallions-y toutes nos forces ; c’est là qu’il faut préparer les sérieuses victoires qui décideront de nous, les conquêtes définitives qui doivent marquer le nom de ce siècle.

Ces poètes inconnus, ces imaginations heureuses qui relèveront un jour la fortune littéraire de ce temps-ci, se préparent sans doute en silence ; peut-être ont-ils déjà pris rang dans la génération qui s’avance. On ne peut méconnaître des dispositions vives et brillantes chez un grand nombre de nos jeunes écrivains ; les facultés précieuses ne leur manqueront pas plus qu’à leurs aînés. Qu’ils profitent donc de l’expérience commune ; qu’ils assurent leur foi et ne livrent pas la Muse ! Ils ont vu combien l’orgueil de l’esprit a troublé les ames les mieux douées, dans quelle confusion elles se sont perdues, et comme elles ont été entraînées de fautes en fautes jusqu’aux scandales de la vénalité. Ils demanderont à l’étude et à leurs convictions honnêtes cette dignité morale qui réparera nos ruines. L’infatuation n’aura pas de prise sur ces fermes caractères ; leur sérieux amour de la poésie les préservera aussi de la frivolité ; ils ne gaspilleront pas leur intelligence en des œuvres puériles, et leurs travaux exprimeront toujours une pensée. C’est ainsi qu’ils seront fidèles à l’esprit de leur temps et à la mission dont l’a chargé la Providence.

Qu’y a-t-il de plus beau que l’harmonieux développement d’un siècle ? Chaque génération apporte avec elle je ne sais quels trésors printaniers et comme une gracieuse odeur de renouveau. Quand cette renaissance périodique disparaît, quand on n’aperçoit pas cette floraison régulière, il semble que le mouvement de la vie s’arrête et qu’une vieillesse anticipée nous menace. Voyez, au temps de Corneille et de Molière, ces transformations successives, ce perfectionnement continu