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triomphe suprême qu’il a poursuivi quelque temps avec vigueur. La haute place qu’occupe M. Hugo dans les lettres contemporaines lui impose de grandes obligations. Qu’il y songe ; chaque empiétement de l’esprit de négoce est une défaite et une honte pour les artistes. Des dissentimens particuliers, des différences de goût et d’inspiration ne devraient plus séparer les poètes ; ce serait le moment ou jamais de reformer avec une décision plus énergique la phalange d’autrefois. M. de Musset n’a-t-il rien aussi à se reprocher ? Pourquoi a-t-il reçu des dons, si charmans, pourquoi cette franche imagination, ce style si original et si vif, pourquoi tant de privilèges, si l’heureux poète s’endort dans l’indifférence ? Il y avait, il y a chez M. de Musset quelque chose de fier et de vaillant ; il y a une grace intrépide qui ne devrait pas redouter la lutte. Je me fie, pour la justesse des coups, à celui qui a jeté au milieu de nos vices la vigoureuse satire sur la Paresse. Le mal est si grand, qu’il inspirera peut-être de salutaires répugnances aux écrivains même dont le noble talent a quelquefois cédé à de funestes séductions. Je voudrais que la Mare au diable fût le symptôme d’un repentir sincère chez l’auteur égaré de Consuelo et d’Horace. La simplicité savante de ce récit, la perfection accomplie des détails, forment un contraste bien éloquent avec les inventions dont on repaît la foule. Je n’ai vu nulle part une condamnation plus décisive de notre littérature courante. Tant de bons instincts seront-ils perdus ? On a souvent reproché à George Sand la faiblesse qui dépare chez elle un talent si vrai ; on lui a reproché les influences souvent contraires qu’elle a subies tour à tour avec une facilité trop prompte ; il serait beau pour l’éloquent romancier d’acquérir enfin cette indépendance qui ne se soumet qu’aux principes. Lutter contre leurs indécisions, affermir leurs doctrines et armer leur volonté, voilà la tâche que doivent s’imposer surtout les écrivains d’aujourd’hui.

Il faut espérer dans les esprits d’élite, que leur passé engage, il faut espérer aussi dans les jeunes générations qui sont en marche. L’avenir est le refuge de ceux que le présent ne saurait satisfaire ; comment nous refuserions-nous cette consolation et cet espoir ? Comment pourrions-nous manquer de confiance dans les futures destinées de la poésie ? Les débuts de ce siècle ont été glorieux ; la triste période commencée il y a une dizaine d’années touche sans doute à son terme, et, dût-elle se prolonger encore, il ne faut pas qu’elle nous fasse oublier ce que nous avons déjà produit. De 1825 à 1835, nos titres sont sérieux et considérables ; le XVIIe siècle n’en avait pas autant, arrivé à la moitié de sa course. S’il possédait déjà, en 1647, tout Descartes et les plus beaux chefs-d’œuvre de Corneille, il ignorait les richesses plus brillantes qui ont consacré sa gloire. Pascal, occupé d’enrichir les sciences physiques, ne s’était pas encore armé de cette plume immortelle qui a fixé la langue ; Bossuet était le petit Bossuet de Dijon, dont parle Tallemant des