— Je suis un homme de bien, s’écriait impudemment le drôle, aussi vrai que vos façons discourtoises ont mis en lambeaux un des plus beaux manteaux que j’aie possédés.
— Effronté voleur, criait un joueur, ton manteau avait autant d’accrocs que ta conscience !
— En tout autre endroit, reprit Perico, qui manœuvrait prudemment vers la porte, vous me rendriez raison de cette double injure. Seigneur cavalier, continua-t-il en m’appelant, soyez ma caution comme j’ai été la vôtre ; la moitié de mon gain vous appartient, c’est un gain loyal, et tout ceci n’est qu’une calomnie.
Je maudissais une fois de plus mon intimité avec Perico, quand un événement plus grave vint faire une diversion heureuse à la scène où je me voyais menacé d’être acteur. Un homme sortit précipitamment d’une des pièces les plus reculées de l’appartement. Sur ses pas, un autre individu s’élança le couteau à la main, bientôt suivi par une femme échevelée qui poussait des cris aigus.
— Me laisserez-vous assassiner ainsi ? s’écriait pitoyablement l’individu poursuivi, personne ne me donnera-t-il un couteau ?
— Laissez-moi, laissez-moi ouvrir le ventre de ce larron d’honneur ! hurlait le mari outragé.
Les femmes, par esprit de corps sans doute, poussèrent toutes à la fois des cris lamentables et se jetèrent entre les deux adversaires, tandis qu’un des amis de l’offenseur lui remettait furtivement un long couteau entre les mains. Celui-ci se retourna et se lança intrépidement à la rencontre de son rival. Les cris des femmes redoublèrent ; ce fut une infernale confusion. Les deux ennemis acharnés faisaient des efforts prodigieux pour fendre les groupes agglomérés entre eux. Le sang allait couler, quand, dans la lutte engagée entre tous, la table qui supportait l’enfant mort fut renversée. Le corps alla heurter le carreau avec un bruit sourd, et les fleurs qui le couvraient jonchèrent le sol. Un large cercle s’ouvrit aussitôt autour du cadavre profané. Un cri perçant domina tout ce tumulte, et la mère désolée se jeta sur les restes de son enfant avec une suprême et navrante sollicitude.
J’en avais trop vu. Je m’élançai vers le balcon pour jeter un dernier regard sur la rue et m’assurer qu’une évasion était encore possible ; mais de ce côté aussi le passage m’était fermé. Un homme venait de sortir d’une des ruelles qui s’ouvraient sur le bord opposé du canal. D’autres hommes couraient derrière lui en brandissant des armes. Ce Nanaja, dans lequel Perico venait de reconnaître un confrère, avait sans doute réuni sa troupe, et j’allais le voir terminer, sans pouvoir porter secours à la victime, un de ces coups nocturnes qui font la gloire sinistre de certains léperos. L’homme qu’on poursuivait atteignit bientôt le parapet du quai et s’y adossa. Je l’entendis distinctement s’écrier :