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ne pas voir les différences qui découlaient partout de cette distinction fondamentale. On lui prouve que la famille féodale est restreinte par la loi de succession, tandis que la famille primitive s’étend à l’infini par le cousinage du clan ; on lui montre, d’un côté, une propriété immobilisée dans la possession d’une seule souche, transmise à l’aîné par privilège exclusif ; de l’autre, un partage égal de l’hérédité sans distinction de primogéniture et de bâtardise, ou bien encore le cadet même favorisé par un singulier contraste aux dépens de ses frères ; enfin l’on rappelle l’hospitalité germanique, et l’on demande si c’était bien la source directe du droit d’aubaine[1]. M. de Courson reste fidèle à sa foi et hausse les épaules, perdu dans la contemplation de ce bonheur trop tôt écoulé des siècles féodaux qui sont encore pour lui l’ère des patriarches. Ne lui parlez ni de la taille ni de la corvée, c’étaient là des abus de l’ancien régime ; la perfidie des rois avait dépouillé les seigneurs de leurs droits les plus essentiels : « ils ne pouvaient plus remplir leurs devoirs envers leurs vassaux. » Autrement, sans doute, ils auraient eux-mêmes engrangé leurs moissons et battu leurs étangs. Il faudrait pourtant bien loger quelque part dans l’histoire cet âge d’or de la féodalité. M. de Courson a fait son choix ; il aurait voulu venir au monde avant le XIVe siècle : la vie était-elle donc si commode au XIe, quand l’église implorait la trêve de Dieu pour obtenir qu’on ne guerroyât pas plus de trois jours par semaine ? au XIIe, du temps des cottereaux ? au XIIIe, du temps des pastoureaux ? L’étrange piété que cette adoration presque mystique de la violence, parce que la violence est maintenant couverte du manteau des âges ! Et voyez aussi : depuis le XIVe siècle, tout est allé de mal en pis, soit ; mais il y a des héros dans toutes les décadences ; où prendrons-nous les héros de M. de Courson ? Ce seront, par exemple, les hommes de la ligue, lorsque « la nation, courbée depuis Philippe-le-Bel sous le joug du pouvoir absolu fondé par les légistes, se réveille et se retrouve à la voix de ses prêtres. » Ce seront par analogie ces gentilshommes bretons du XVIIIe siècle qui, pactisant avec l’Espagne comme leurs aïeux du XVIe, servent d’acolytes à la misérable conspiration de Cellamare. Ce seront enfin les conseillers du parlement de Rennes qui refusent d’enregistrer les lois de l’assemblée constituante, parce que les états de Bretagne n’ont pas été convoqués pour les approuver ; ce seront à toutes les époques les malencontreux défenseurs « de ce vieil édifice de la constitution française » qui n’a certainement existé dans aucune. Le rare patriotisme que d’être ainsi à perpétuité du parti de ceux qui s’allièrent avec l’étranger contre l’esprit de leur temps et le

  1. Du moment où chacun doit rester sur sa glèbe, le vagabond, le voyageur, l’étranger, deviennent suspects, et le nouveau régime territorial change ainsi dit tout au tout les anciennes mœurs.