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du Sud. On sait comment il a perdu le Texas. L’Yucatan, qui avait proclamé son émancipation en 1842, n’a guère fait qu’une soumission nominale ; les deux provinces limitrophes de Tabasco et de Chiapas sont toujours prêtes à se joindre à lui. Les pronunciamientos soulèvent à tout moment des districts entiers, sans autre raison que de favoriser l’introduction des marchandises de contrebande. Le principe de séparation est même ouvertement arboré sous le nom de fédéralisme : c’est un mot d’ordre politique, et les centralistes luttent péniblement contre la dissolution qui menace la nationalité mexicaine.

On ne saurait imaginer la situation déplorable dans laquelle se débat aujourd’hui cette société singulière, à la fois barbare et corrompue, vaincue certainement par les vices organiques de sa constitution bien plus que par des ennemis dont les vertus militaires sont au moins médiocres. La crise déterminée par la guerre a fait ressortir de la manière la plus curieuse et la plus triste l’impuissance radicale de cet état né d’hier. Ce qui perd le Mexique, c’est l’incurie, la mollesse de ses premiers citoyens, de la classe qui semblait appelée à le régénérer, la classe des grands propriétaires ; c’est l’agitation désordonnée d’une autre portion de la race créole, qui, privée des avantages de la fortune sur une terre où il n’y a guère de petits domaines, a cherché la fortune dans le pouvoir, et exploité sans les digérer les idées les plus avancées du radicalisme européen ; c’est, d’un côté comme de l’autre, le défaut de sens national ; c’est par-dessus tout la mobilité, l’inintelligence, on pourrait presque dire l’enfance encore sauvage, qui caractérise la masse du peuple. Une poignée d’hommes se dispute les faveurs de cette foule capricieuse et la soudoie avec l’argent dont on dépouille le trésor ou les particuliers, oligarchie sans cesse renouvelée, grace à des lois électorales qui confient tous les droits de citoyen aux Indiens même les moins policés.

Tels sont les élémens en lutte sur cet éternel débat du centralisme et du fédéralisme. On comprend que le fédéralisme est par son essence une carrière ouverte aux agitations démagogiques, le centralisme un refuge quelconque pour tous les besoins d’ordre et de paix. On comprend aussi que cette dernière opinion ne peut résister à l’autre et l’emporter qu’à la condition de s’appuyer sur un parti militaire qui l’exploite et la domine. Telle est, en somme, la raison des étranges succès qui marquent jusqu’au bout la carrière de Santa-Anna ; telle est la vraie force avec laquelle, sorti triomphant de toutes les vicissitudes, il réussit encore à se faire déférer la présidence. Il garde l’armée pour lui, et, sûr des baïonnettes, il s’impose aux centralistes comme aux fédéralistes. Santa-Anna n’a jamais eu qu’un jeu, et ce jeu l’a toujours favorisé : remuer le pays à l’aide des démagogues fédéralistes, traiter avec eux, arriver sur leurs épaules, et, maître du pouvoir, les repousser du pied en se déclarant le protecteur exclusif de ces malheureux centralistes, toujours prêts à tout souffrir de son despotisme régulier, pourvu qu’il les délivre des exactions et des violences du parti démagogique.

A travers tous ces mouvemens sans but et sans fin, un nouveau parti semble prendre racine au Mexique, et cette fois du moins ce serait un parti vraiment politique et non point comme d’ordinaire une association de spéculateurs tentant un coup de main pour piller la douane. Ce parti a déjà de la consistance, parce qu’il se propose comme résultat de ses efforts l’accomplissement d’une idée nationale,