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nord qu’elle a déjà réputées siennes, Santa-Fé, Chihuahua et les Californies, toutes remplies dès à présent d’occupans américains.

Ces Américains sont le plus souvent sans doute des citoyens de fraîche date que l’Europe a déportés en masse au cœur des États-Unis ; cette immigration continuelle deviendrait un péril s’il n’y avait pour elle les voies d’écoulement qui l’utilisent ; elle devient au contraire un élément de richesse et de force nationales du moment où l’on peut la distribuer comme il faut et sans encombre. Le parti des natifs, qui prêche l’américanisme dans le nord avec autant d’opiniâtreté qu’on en met à le pratiquer dans la Plata, le parti des natifs essaie inutilement d’arrêter ce flot de population étrangère ; il a tout récemment demandé qu’on refusât l’accès des ports de l’Union aux arrivans expulsés par leur propre patrie comme pauvres ou comme criminels ; il ne réussira pas. La grandeur des États-Unis, c’est de proportionner, sur leur territoire, le nombre d’ames au nombre de milles carrés : l’Illinois, le Michigan, le Wisconsin et l’Iowa seraient des créations tout européennes, si l’Europe ne se transformait, pour ainsi dire, sous ce régime nouveau que lui impose une vie nouvelle. Les Allemands sont, à coup sûr, la portion la plus active, la plus industrieuse de l’émigration ; ce sont eux, à ce qu’il parait, qui se jettent sur le Mexique avec le plus d’ardeur ; ce sont eux qui forment les plus solides de tous les corps volontaires, parce qu’aux habitudes mécaniques de leur discipline primitive, ils joignent, nous dit-on, sur le sol de leur récente patrie, les libres allures de vrais républicains. Cet empressement est au fond moins guerrier qu’il n’a l’air de l’être : tout l’ouest ressemble maintenant au camp de Wallenstein, tant il y a de mouvement et de démonstrations militaires ; mais ces soldats qui partent de si grand cœur, ce ne sont que des colons en quête d’un établissement. Le général Kearney a écrit au gouvernement qu’il ne lui serait plus possible de tirer son armée du pays où elle est déjà tout assise, et qu’il fallait au plus vite régulariser cette société déjà naissante en annexant le Nouveau-Mexique et les Californies pour en partager les terres.

Cette annexion, qui semble inévitable, sera cependant à coup sûr une cause d’embarras sans fin, un grand trouble de plus dans la politique intérieure des États-Unis. Les neuf dixièmes de la nation la veulent absolument, et nous avons montré l’intérêt qu’ils ont à la vouloir ; ils ne se dissimulent pas davantage le péril qu’ils courront en l’obtenant : ce ne sera rien moins qu’un nouvel élément de division dans cette fédération, qui compte déjà tant d’élémens séparatistes. La question de l’esclavage est, on le sait, aux États-Unis une question politique beaucoup plus que religieuse et morale ; c’est une question de prépondérance entre les états du sud et du nord. Il a fallu dès le principe trouver une combinaison qui équilibrât dans le congrès les forces respectives des états mal peuplés du midi et des démocraties populeuses du nord. Si les grands propriétaires de la Géorgie et des Carolines, clair-semés comme ils l’étaient sur leurs vastes campagnes, n’avaient pas pesé individuellement dans le système électoral d’un poids plus lourd que tel ou tel petit marchand de New-York ou du Massachusetts, ils auraient été, sans résistance possible, écrasés par le nombre : il fut donc décidé, pour compenser la différence, que les esclaves des planteurs du midi seraient représentés par leurs maîtres et comptés vis-à-vis des blancs dans la proportion de cinq à deux ; la possession de cinq cents nègres donne ainsi le même droit que deux cents voix d’hommes libres. Cet arrangement, accepté