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pour suffire à cette énorme dépense la création d’un nouveau papier jusqu’à concurrence de 28 millions de dollars, les billets pouvant au gré des porteurs se convertir en créances remboursables dans vingt ans et produire jusque-là un intérêt de 6 pour 100. La vente des terres publiques, dont le taux s’élève à mesure que les émigrans affluent, doit fournir les ressources nécessaires au service des intérêts et à l’amortissement de l’emprunt : l’année dernière seulement, les ventes de terres dans le nouvel état de Wisconsin n’ont pas donné loin d’un demi-million de dollars. Les opposans avaient annoncé qu’une émission si forte ferait baisser les fonds publics ; les fonds ont au contraire monté. Les chambres ont repoussé à l’unanimité les deux bills présentés par deux membres isolés qui proposaient de suspendre immédiatement et sans autre garantie les opérations militaires dirigées contre le Mexique ; les whigs eux-mêmes ont fini par suivre le torrent où les entraînait la fougue guerrière des démocrates. M. Calhoun a laissé répandre, par l’intermédiaire de ses amis, qu’il tenait pour absurde toute idée de rappeler en arrière les troupes américaines. Les chefs, les journaux du parti, ont reconnu qu’il n’était plus temps de disputer sur les causes de la guerre, mais qu’il fallait la poursuivre activement si l’on voulait en finir ; ils se sont déclarés prêts à donner au gouvernement exécutif tous les moyens qu’il lui faudrait pour obtenir « une paix conquérante. »

Disons maintenant la grande raison de cet enthousiasme d’apparence si militaire. Frère Jonathan, comme les Anglais surnomment le peuple américain, ne pousse pas d’ordinaire le patriotisme jusqu’au désintéressement, et, s’il n’y avait sous jeu que l’orgueil national engagé dans une lutte trop long-temps indécise, on ne paierait pas volontiers si cher une satisfaction purement idéale. La presse américaine se livre bien à de pompeuses déclamations en l’honneur du vaste avenir qui s’ouvre devant l’Union ; elle voit déjà le cabinet de Washington régner sur l’Océan Pacifique, après avoir subjugué l’Amérique entière, et elle menace assez naïvement l’Europe de transplanter de force, au sein des vieilles nations qui l’habitent, les jeunes institutions républicaines du Nouveau-Monde. Derrière cette fantasmagorie se joue cependant le drame sérieux et véritable ; les imaginations s’égarent peut-être à plaisir dans ces horizons lointains, les intérêts ne s’y trompent pas et vont au plus court. Pendant qu’on prêche la conquête universelle, on colonise place par place les territoires mexicains, et, loin d’y camper en ennemis, on y travaille et l’on s’y arrange en propriétaires paisibles. Cette population toujours croissante que le paupérisme atteint déjà dans les grands centrés de l’ouest se précipite vers ces extrémités nouvelles que la victoire vient de rattacher aux États-Unis, sans même que le droit des traités ait encore confirmé leur possession. Pour la foule incessamment renouvelée des settlers, il y a là une irrésistible tentation, des débouchés plus avantageux et plus sûrs que les défrichemens, que les déserts du nord et du nord-ouest ; ces grands fleuves qui baignent les beaux sites du Nouveau-Mexique attirent naturellement bien plus que les âpres régions des monts Alleghany. Le général Taylor, au lieu de marcher sur Mexico, voulait simplement occuper tout le pays compris entre les deux mers jusqu’à la hauteur de Tampico, et dire ensuite aux Mexicains « Chassez-nous si vous pouvez. » Il changeait ainsi de rôle, et passait de l’offensive à la défensive. Si on lui ordonne aujourd’hui de continuer sa route vers le sud, c’est pour assurer définitivement et plus vite à l’Union les contrées du