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jusqu’à Martigny, comme le prouvent les blocs de roche qu’on trouve dans les environs de cette ville, et qui sont trop gros pour que l’eau ait pu les y amener. » En parlant ainsi, Perraudin ne se doutait guère avoir fait une grande découverte et résolu, à force de bon sens, un problème que le génie des plus célèbres géologues, armé de toutes les ressources de la science, avait abordé sans succès.

Heureusement le savant auquel il venait de communiquer le résultat de ses observations solitaires était un homme pratique, plus soucieux de faits que de théories. Le germe que le paysan avait jeté dans son esprit s’y développa librement, et l’idée d’une ancienne extension des glaciers au-delà de leurs limites actuelles devint pendant vingt ans l’objet constant de ses recherches et de ses méditations. Un ingénieur de ses amis, M. Venetz, avait été amené de son côté aux mêmes vues par l’étude des blocs erratiques du Valais. Enfin, en 1834, lorsque sa conviction fut complète et appuyée sur des preuves nombreuses et irrécusables, M. de Charpentier (car c’était lui qui avait été le confident de Perraudin) émit ses opinions au congrès des naturalistes suisses réunis à Lucerne. Comme toute idée nouvelle, celle-ci fut accueillie avec froideur ou repoussée avec dédain ; mais, comme c’était une vérité, elle fit son chemin toute seule, et aujourd’hui c’est une des questions les plus importantes qui aient agité le public géologique. Grace aux nombreux travaux publiés sur cette question depuis quelques années[1], le phénomène des Alpes a pris les proportions d’une grande révolution, qui a eu pour théâtre une portion considérable des deux hémisphères. Si le génie de l’homme peut s’élever un jour à la cause de ce cataclysme glaciaire, il aura jeté la plus vive lumière sur la dernière phase de l’histoire géologique du globe, sur l’époque mystérieuse qui a précédé l’apparition de l’homme à la surface de la terre et sur ce déluge universel dont la trace se retrouve dans toutes les traditions des peuples, en Europe, en Asie et dans les deux Amériques. La relation intime qui lie ces deux phénomènes ne saurait être niée, car elle nous est attestée à la fois par le raisonnement et par l’observation. Néanmoins nous ne poursuivrons pas l’étude des phénomènes glaciaires dans tous les pays où ils ont été signalés ; nous nous bornerons à les étudier dans les Alpes, où les faits, bien connus et mieux appréciés, peuvent être vérifiés chaque année par de nombreux voyageurs.

Les glaciers de la Suisse et de la Savoie ont-ils toujours été circonscrits

  1. Parmi ces travaux, nous citerons ceux de MM. Agassiz, Desor, A. Guyot, J. Forbes, Studer, A. Escher de la Linth et Blanchet dans les Alpes ; Leblanc, Renoir, Hogard et E. Collomb dans les Vosges ; Agassiz, Lyell, Buckland, Smith, Maclaren en Écosse, en Angleterre et en Irlande ; M. Brongniart, Sefstroem, Keillhau, Boethling, Siljestroem, Daubrée, Murchison, de Verneuil et Durocher en Scandinavie ; Hitchkock et Darwin en Amérique.