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l’Égypte, province exploitée et opprimée de loin, n’a échappé au despotisme que par l’anarchie. C’est au Caire que l’empereur ottoman hérita du pouvoir sacré des califes. Depuis long-temps, les sultans d’Égypte avaient cherché à faire du Caire le siège de la papauté[1] musulmane. Le sultan Bibars avait établi dans cette ville un fantôme de calife et s’était fait donner par lui l’investiture de ses états, à peu près comme certains empereurs d’Allemagne se faisaient couronner par un anti-pape. Au XVIe siècle, quand Sélim soumit l’Égypte, il fit signer au dernier des califes abassides établi au Caire une renonciation en forme et un abandon complet de ses droits à la souveraineté spirituelle de l’islamisme. C’est depuis lors que ces droits sont réclamés par les Ottomans, dont le titre, comme on voit, n’est pas des plus respectables, et je ne comprends pas que Méhémel-Ali, dans sa guerre contre Mahmoud, n’ait pas su trouver au Caire un descendant du dernier calife dépossédé pour mettre de son côté la légitimité religieuse, sauf à hériter ensuite de son calife quand il aurait voulu.

Les Mamelouks continuèrent à gouverner l’Égypte sous l’autorité lointaine et toujours mal affermie des sultans. Un fait peut donner la mesure du pouvoir que ceux-ci exerçaient : il existait parmi les Mamelouks un officier ayant un titre particulier et pour fonction spéciale de signifier au pacha envoyé de Constantinople sa destitution, le jour où il cessait d’agréer au divan du Caire. Ce pouvoir des beys mamelouks, précaire, divisé, disputé perpétuellement par la perfidie ou la violence, fut mortel à l’Égypte. Il durait depuis près de trois siècles, quand nous vînmes le détruire.

On a deux relations arabes de la conquête de l’Égypte par les Français. Il est curieux d’étudier la contre-partie des narrations officielles, de lire l’histoire des lions quand ils l’ont écrite. Il est piquant de voir, dans les historiens arabes, le Cid devenu un brigand féroce qui brûle les femmes et les petits enfans, saint Louis et ses pieux compagnons transformés en soldats de Satan, et, dans les historiens grecs, les conquérans de Constantinople, la fleur de la chevalerie européenne, représentés comme des barbares assez grossiers. On ne trouve point un pareil contraste entre les récits musulmans de l’expédition d’Égypte et nos propres récits. Dans celle de ces narrations que j’ai sous les yeux, et dont l’auteur, il est vrai, est un Syrien catholique, il n’y a que de l’admiration pour les généraux français et pour leur chef. L’auteur va même jusqu’à lui faire détruire les murs et la forteresse de Saint-Jean-d’Acre,

  1. Ce rapprochement n’est pas de moi, mais de l’honnête. Frescobaldi, qui disait au XIVe siècle : « Il califfo come tu dicessi il papa… » Il allait jusqu’à appeler les cadis des évêques.