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cette supposition, l’association du nom d’Amasis et du nom de Menès s’expliquerait naturellement. On concevrait qu’un usurpateur, le chef d’une dynastie, eût voulu abriter son autorité nouvelle sous l’autorité de l’antique fondateur de la monarchie égyptienne, et se rattacher par là aux origines de cette monarchie. César fit ainsi en se disant du sang d’Énée et en mettant sur ses monnaies l’effigie de son aïeule Vénus, et Napoléon en prenant les abeilles de Childéric, qu’on appelait les abeilles de Charlemagne.

Outre les collections d’antiquités égyptiennes de Clot-Bey, du docteur Abbot et celle de M. Rousset, que j’ai eu occasion de citer, il y a au Caire deux sociétés égyptiennes ; chacune possède une bibliothèque où l’on trouve les ouvrages les plus utiles au voyageur qui veut étudier l’Égypte[1].

Les collections nous ont conduit bien loin dans l’antiquité. Une visite à M. Lambert va nous ramener au présent et même à l’avenir, car ce n’est point de l’Égypte ancienne, mais de l’Égypte actuelle et de l’Égypte future, que s’occupe M. Lambert, directeur de l’École Polytechnique du pacha. Après avoir prêché le saint-simonisme à Paris avec un éclat dont on se souvient encore, M. Lambert a renoncé de fort bonne grace à son rôle d’apôtre, et s’est résigné à n’être plus qu’un homme de beaucoup de mérite et de beaucoup d’esprit. On a grand plaisir à causer de l’Europe et de l’Égypte avec cet enthousiaste un peu railleur que la réflexion a désabusé, mais n’a point refroidi, qui, renonçant aux illusions excentriques, n’a point abandonné toutes ses espérances, et qui semble avoir surtout gardé de sa croyance à un ordre social nouveau le vif sentiment des imperfections de l’ordre ancien. C’est ce que j’ai cru trouver du moins dans l’ironie grave de M. Lambert ; elle semblait toujours me dire : Si je reconnais que nous avons été un peu ridicules, permettez-moi de trouver que d’autres le sont beaucoup.

Je veux nommer encore parmi mes hôtes du Caire le savant et excellent docteur Primer, orientaliste et médecin très distingué, dans lequel l’étranger qui lui est recommandé trouve un ami, et j’en finirai avec les Européens du Caire par celui qui est resté très bon Français, quoiqu’il s’appelle aujourd’hui Soliman-Pacha. Soliman-Pacha demeure au vieux Caire, dans la ville fondée par le lieutenant d’Omar. Ancien officier de la grande armée, aujourd’hui chef de l’armée égyptienne, il habite sur les bords du Nil une belle maison dont le rez-de-chaussée est meublé à l’européenne. Un excellent billard et des journaux de Paris rappellent d’abord la France ; de l’autre côté de la rue est le harem du général. On sait que notre compatriote, comme le fameux comte de Bonneval, a embrassé la religion musulmane. Quelque jugement

  1. L’une de ces sociétés a publié le premier volume d’un recueil intitulé Egyptiaca.