Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/866

Cette page a été validée par deux contributeurs.
860
REVUE DES DEUX MONDES.

l’exécution de ses desseins, comme elle a besoin de l’éternité pour ne pas être accusée d’injustice, ces hommes ont besoin du cours des âges pour ne pas être taxés d’impuissance. Les courtes années de la vie leur donnent tort ; les siècles leur donneront raison. Il faut des siècles pour que les peuples arrivent à comprendre les institutions préparées pour eux par le génie des grands hommes. Il est des plantes qui ne fleurissent, dit-on, que cent ans après que la graine a été confiée à la terre : la vertu de ces sucs qui, s’infiltrant goutte à goutte, font germer lentement la fleur séculaire, n’est pas plus mystérieuse et plus certaine cependant que celle de ces influences lointaines qui pénètrent, avec le temps, l’esprit des peuples et produisent les événemens de l’histoire.

Ce serait méconnaître ces grandes lois du monde, ce serait nier, parce qu’on ne peut toujours la suivre, cette hérédité mystérieuse des générations, que de ne point compter le génie de Théodoric parmi les plus puissantes causes qui aient déterminé le développement de l’histoire et de la nationalité italiennes. J’ai indiqué une certaine ressemblance entre Théodoric et les législateurs de l’assemblée constituante : cette ressemblance est plus frappante encore avec les philosophes italiens du dernier siècle ; c’est un air de parenté, une physionomie de famille à laquelle on ne saurait se méprendre : Beccaria, Veri, Filangieri, sont des petits-fils de Théodoric et de Boëce ; la veine secrète remonte jusque-là.

Ainsi rien ne se perd dans les plans de la sagesse qui régit le monde ; ce qu’un homme supérieur a voulu pour ses contemporains petit quelquefois ne profiter ni à ceux-ci ni à la génération qui les suit ; mais la semence long-temps cachée porté enfin son fruit, et le genre humain est là pour le recueillir. Comme le vieillard de la fable, le génie peut répondre à la foule impatiente :

Mes arrière-neveux me devront cet ombrage !
E. De Langsdorff.