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se fondent pas seulement sur les vices de notre nature. Sans doute ces tristes motifs entrèrent pour beaucoup dans la grande fabrication des légendes : la crédulité, l’imposture, l’avarice, égarèrent alors bien des ames, mais non pas toutes, mais non pas toujours. La partie la plus éclairée, la seule éclairée du monde d’alors, était dans les cloîtres. La foi était si vive et si contagieuse que personne n’y échappait : si l’on nous montrait tout à coup l’un des mécréans de ces siècles, nous serions en admiration devant sa foi. Qu’on ne confonde pas non plus les époques, qu’on ne juge pas les ordres religieux à leur origine par ce que nos pères ont pu voir de leur décadence : ce serait juger de la république romaine par le Bas-Empire. A la fondation de ces ordres, lors de l’invasion des barbares, ce qu’il y avait de plus noble, de plus distingué, de plus ardent dans la jeunesse patricienne, se précipita dans les cloîtres ; tous renoncèrent sans regret aux richesses, aux joies du siècle, et, si plus tard la fortune revint les chercher, ce fut par l’influence même que ce premier et décisif renoncement leur avait donnée sur les esprits. Quant au renoncement au monde, dans le sens attaché plus tard à ces paroles, jamais il ne fut moins réel. Les moines d’Orient, suivant le génie particulier de leur pays, avaient pu se vouer à la vie contemplative ; mais, dans l’Occident, rien de pareil : le monde au contraire, la société nouvelle, sortie de l’ancienne civilisation et du mélange des barbares, se groupe autour du clergé et surtout autour des ordres monastiques, l’élément le plus actif de la puissance religieuse. C’est dans leur sein que l’état prend ses chefs, ses ministres, ses agens ; ce sont eux qui écrivent, qui parlent, administrent, gouvernent : on les retrouve partout ; ils sont le seul point de ralliement à cette époque de dissolution générale ; ils forment le seul cadre où les individus, isolés, épars, puissent se rapprocher, se réunir. Il n’y a plus là ni Romains ni barbares, ni vainqueurs ni vaincus ; il y a une communauté chrétienne sous les chefs naturels que l’église a établis.

Qu’arriva-t-il de là ? C’est que, comme la cité était dans l’église, l’église à son tour fut en proie à toutes les agitations, à toutes les passions qui partageaient la cité. Comme son pouvoir n’était pas seulement spirituel, mais temporel, l’église, malgré l’ardeur de sa foi, peut-être en raison de l’ardeur de sa foi, connut toutes les passions, les haines et les persécutions de la vie politique. Elle s’y livra d’autant plus que, n’admettant pas la possibilité du doute dans l’ordre de ses croyances, sincère dans le mépris des richesses et de la volupté, rien ne venait avertir son orgueil, lui suggérer un scrupule sur son droit, sur son devoir. Comme elle avait tout ensemble le gouvernement des affaires et des consciences, des corps et des esprits, elle mêla aussi les récompenses et les châtimens de nature différente dont elle avait la disposition