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THÉODORIC ET BOËCE.

l’avait fait le premier magistrat et comme le représentant de son autorité à Rome. Enfin, lorsque Boëce eut, comme son beau-père Symmaque, épuisé tous les honneurs du consulat, Théodoric et le sénat romain élevèrent à cette suprême magistrature ses deux fils, à peine entrés dans la première jeunesse. Ce fut un jour solennel dans la vie de Boëce, que celui où le sénat en corps vint chercher dans sa maison ces deux jeunes gens et les conduire, au milieu des acclamations du peuple, sur les chaises curules, antiques sièges des premiers consuls de la république. Boëce, placé entre ses deux enfans, assista ensuite aux jeux du cirque, et distribua au peuple des largesses dignes de la magnificence des empereurs. C’est ce triomphe sans égal dont le souvenir touchait et agitait encore le prisonnier à la veille de sa mort et que la philosophie lui rappelait, pour lui montrer, par l’instabilité de la fortune, qu’il n’y a de solide au monde que la vertu. Ce jour glorieux termina en effet la prospérité de Boëce. Sans doute cette élévation si grande lui donna des espérances plus grandes encore : il ne lui suffit plus que le repos et la paix fussent assurés à sa patrie ; il la voyait esclave ! Il arrive toujours dans la vie un de ces momens décisifs où l’on joue sur une chance douteuse tout ce qui a été lentement et laborieusement acquis ; les désirs grandissent avec la destinée : Boëce gouvernait Rome sous Théodoric ; il voulut plus ; il voulut la rendre libre.

Les rapports du sénat avec l’empereur de Constantinople n’étaient point clairement définis ; nous voyons que l’empereur intervenait encore dans la nomination des consuls, dans l’élection des papes ; les messages étaient fréquens entre Rome et Constantinople. Cette situation incertaine devait encourager et faciliter les complots : les premières communications étaient innocentes peut-être ; avec un empereur animé de la passion de ressaisir l’Italie, elles finissaient par être une trahison. Ce fut sans doute ainsi, et par la pente même des choses, que Boëce se trouva entraîné dans les complots tramés contre Théodoric. Ainsi s’expliqueraient son assurance et ses protestations contre ses accusateurs. Nous avons dit quels témoins et quelles charges s’élevaient contre lui ; confiant néanmoins dans son crédit, peut-être dans la faveur même de Théodoric, il ne craignit point d’accourir auprès de lui et revendiqua sa part de l’accusation : « Si Albinus est coupable, dit-il, je le suis moi-même avec tout le sénat. »

Telles furent les paroles imprudentes et hautaines de Boëce. Cependant le sénat fut chargé d’instruire son procès, et le condamna à mort. Au lieu de faire exécuter la sentence, Théodoric se contenta d’abord de renfermer Boëce dans la tour de Calvance, sur le territoire de Milan ; il espérait encore traiter avec l’empereur et faire révoquer l’édit contre les ariens. Il chargea un des amis de Boëce, le pape Jean, d’aller à Constantinople. C’était sans doute une grande inconséquence de charger