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lui échappe encore, et qu’il ne comprend dans le crime que la moitié du crime. De là ce singulier contraste d’une loi qui révèle par ses prévisions mêmes des mœurs très violentes, très brutales, et qui ne renferme pas de pénalités très sévères. Pour les hommes libres, jamais de châtiment corporel, point d’emprisonnement ; la peine de mort est très rare et peut être rachetée. On sent que ce n’est qu’avec quelque doute sur son propre droit que le législateur intervient dans les rapports des individus entre eux ; la loi ne fait que proclamer et sanctionner ces rapports.

Quand on passe de cette loi de nos aïeux à la loi des Visigoths, on croit, selon l’expression pittoresque de l’auteur, « quitter un marché tumultueux pour entrer dans un temple. » Ici, en effet, plus de compositions à prix d’argent ; la justice apparaît dans toute sa majesté sévère ; elle ne se laisse point désarmer par la satisfaction même de l’offensé. Ce n’est pas seulement le dommage qu’elle veut réparer ; elle sévit aussi contre le crime et punit le trouble apporté à la société. C’est pourquoi on y trouve une plus grande rigueur dans les châtimens ; la peine de mort est souvent appliquée, parce qu’elle est méritée souvent. Il fallait contenir les violences du soldat et réprimer en même temps la corruption romaine. On est dans un ordre d’idées qui répond aux divers besoins de la société. C’est non-seulement un ensemble rationnel de dispositions législatives, dit un des publicistes que nous venons de citer, mais aussi un système de philosophie, une doctrine. Sur quelques points, le législateur a devancé les progrès du siècle dernier et le nôtre même. Ainsi, il stipule que « les enfans de parens libres qui seront vendus par leurs auteurs ne cesseront point d’être libres, la liberté ne pouvant être représentée par aucun prix. » Les fautes sont personnelles « Que le crime suive son auteur ; que le père pour le fils, le fils pour le père, la femme pour le mari, les voisins pour les voisins, n’aient jamais rien à craindre ; crimen cum illo qui fecerit moriatur. » Et la conséquence écrite de cette loi était l’abolition formelle de la confiscation, effacée de nos codes il y a à peine trente ans, et maintenue encore dans une grande partie de l’Europe !

Voilà les pensées, les paroles ; les lois d’un chef barbare qui régnait il y a treize siècles. Ne croirait-on pas entendre les plus pures leçons de la philosophie moderne ? n’est-on pas frappé de voir qu’après tout cette civilisation dont nous sommes si fiers n’a guère dit mieux, ou plus ? ne retrouve-t-on pas dans les ordonnances de Théodoric la plupart des réformes que la philosophie du XVIIIe siècle réclama pour l’humanité, et que la révolution française a fait passer dans le droit commun ? Ce n’est pas seulement le fond ; mais la forme même : il y a des ressemblances singulières entre les déclarations philanthropiques des législateurs de l’assemblée constituante et les épîtres du sénateur. Cassiodore, rédacteur ordinaire des édits de Théodoric. On décrète le