Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/838

Cette page a été validée par deux contributeurs.
832
REVUE DES DEUX MONDES.

aventures. Autres étaient les impressions des barbares ; c’est la civilisation qui les frappait, qui leur semblait grande et merveilleuse. Les monumens de l’activité romaine, ces cités, ces routes, ces aqueducs, ces arènes, toute cette société si régulière, si prévoyante, si variée dans sa fixité, c’était là le sujet de leur étonnement, de leur admiration. Vainqueurs, ils se sentaient inférieurs aux vaincus ; le barbare pouvait mépriser individuellement le Romain, mais le monde romain, dans son ensemble, lui apparaissait comme quelque chose de supérieur, et tous les grands hommes de l’âge de la conquête, les Alaric, les Ataulphe, les Théodoric et tant d’autres, en détruisant et foulant aux pieds la société romaine, faisaient tous leurs efforts pour l’imiter[1]. »

C’est sous de telles impressions que se forma et grandit Théodoric. Son ame forte et neuve reçut profondément l’empreinte des vertus et de tous les nobles sentimens que l’éducation développe. Ni les professeurs ni les habiles instituteurs ne manquaient alors au monde romain ; jamais on n’avait entendu de plus belles leçons sur la vertu et le courage. Ce qui manquait, c’étaient des esprits disposés à recevoir et à garder ces leçons. Les théories du vrai et du beau ne changent pas. Sénèque n’a pas dit autrement que Caton ; la morale des rhéteurs du Bas-Empire valait celle des philosophes de l’ancienne Grèce : les résultats et non les doctrines les ont profondément séparés dans l’histoire. Les nobles disciples du Portique ont mérité à leurs maîtres le nom de sages ; les générations de disputeurs et de brouillons qui sortaient des écoles de Constantinople ont valu à leurs maîtres celui de sophistes.

J’insiste sur ce séjour à Constantinople, parce que la trace de cette éducation première se retrouvera dans tout le reste de la vie de Théodoric. Nous verrons tout à l’heure, en parcourant les monumens de la législation de son règne, quelle singulière ressemblance cette éducation lui donne avec les principes, je dirai avec le langage même de la philosophie du XVIIIe siècle. C’est ce même amour idéal de la perfection, cette conviction un peu orgueilleuse de la grandeur de l’homme, qui étonne dans la bouche d’un conquérant. L’humanité n’avait pas été habituée par Attila à ce respect sympathique.

On a voulu faire honneur au ministre de Théodoric, à Cassiodore, de ces sentimens, de ce langage inconnus jusqu’alors aux barbares. Rien n’est moins fondé que cette explication. Je ne demanderai point si les autres législateurs contemporains s’inquiétaient beaucoup de rattacher leurs prescriptions aux idées de droit, à l’amour de l’humanité ; mais ce ne sont pas seulement ici les paroles, ce sont les actes qui portent l’empreinte de cette préoccupation constante des principes abstraits de la justice. Cela apparaît dès les premiers pas de

  1. Guizot, Histoire de la Civilisation, t. Ier, p. 311.