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THÉODORIC ET BOËCE.

interrompues à chaque instant par des ornemens étrangers ? L’art a disparu devant le métier ; on a un choix de matériaux, une série de traités, mais l’œuvre manque et l’intérêt languit. L’art historique et la tactique militaire ont marché de nos jours en sens inverse ; on dirait que l’un s’est alourdi de tout le bagage que l’autre a rejeté. Nous n’avons plus la narration rapide de Salluste ni la précision de Tacite, tandis que notre infanterie a parcouru l’Europe en moins de temps que les légions romaines, pesamment chargées de piques et de boucliers, n’en mettaient pour arriver au pied des Alpes. Les grands écrivains de l’école historique de la restauration ont bien senti la difficulté ; les habiles y ont apporté le seul remède qu’on pût tenter : ils ont choisi dans l’histoire les époques où le monde est dominé par une idée, et autour de cette idée ils ont groupé les événemens. C’est par là qu’on s’élèvera de plus en plus au-dessus de ces compilations où le talent n’a pas plus de part que dans ces produits à demi façonnés, fournis chaque jour à vil prix par nos manufactures aux exigences un peu économes de notre luxe.

Je ne saurais donc regarder comme un inconvénient pour l’ouvrage de M. du Roure la rareté des sources où l’historien a pu puiser. L’auteur a pu traiter un sujet ancien à la manière antique : c’est une bonne fortune dont il était digne ; on sent très vite, au respect qu’il témoigne pour les grands maîtres de l’histoire, qu’il s’est formé à leurs leçons. Les gens de goût n’ont pas oublié un petit traité intitulé Réflexions sur le style original, qui parut dans les dernières années de la restauration. L’auteur, après avoir exposé les principes généraux, terminait par quelques pages qui devaient servir d’appui à sa théorie. L’expression, le tour et la langue de nos grands écrivains étaient imités avec un art singulier, et les plus habiles auraient pu s’y tromper. Ceux-là ne s’étonneront pas que le style de M. du Roure, formé par cette étude scrupuleuse des modèles, se soit trouvé tout à coup à la hauteur du sujet historique qu’il traitait. Dans de rares endroits, cependant, j’ai remarqué un peu d’obscurité et d’effort. Cette aptitude particulière de l’écrivain à s’approprier la forme et le langage des auteurs qu’il étudie était tout profit quand il vivait dans le commerce des plus excellens ; mais, pour écrire la vie de Théodoric, il a fallu contracter de longues habitudes avec la latinité du moyen-âge ; la phrase semble quelquefois s’embarrasser et comme s’entraver dans les idées accessoires : c’est l’inconvénient de ceux qui savent trop et veulent tout indiquer ; ce sont les embarras que les riches traînent après eux. Il y aurait de la puérilité à insister sur ces imperfections de détail ; les laborieuses recherches que l’ouvrage a exigées, les vues élevées qui y dominent, l’instinct politique avec lequel sont jugées la plupart des questions