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phes du XVIIIe. On songe bien plus, en lisant ses édits, aux ordonnances de Joseph II qu’au code des Francs ripuaires ou à la loi Gombette. « Je ferai voir quelque jour dans un ouvrage particulier, dit Montesquieu, que le plan de la monarchie des Ostrogoths était entièrement différent du plan de toutes celles qui furent fondées dans ce temps-là par les autres peuples barbares, et que, bien loin qu’on puisse dire qu’une chose était en usage chez les Francs parce qu’elle l’était chez les Ostrogoths, on a, au contraire, un juste sujet de penser qu’une chose qui se pratiquait chez les Ostrogoths ne se pratiquait pas chez les Francs[1]. »

Ce sont ces lignes qui ont inspiré à M. du Roure la première idée de son Histoire de Théodoric ; l’œuvre indiquée dans l’Esprit des lois est aujourd’hui accomplie de manière à laisser peu de chance à de nouveaux essais. Les travaux historiques conçus et exécutés avec talent fixent à jamais l’opinion sur le compte des grands hommes dont ils retracent la vie. Comme ces camées antiques gravés sur la pierre dure qui nous ont transmis à travers les siècles l’image d’Alexandre ou d’Auguste, les œuvres marquées de ce travail patient que Buffon appelait le génie laissent dans l’esprit une image définitive ; la précision du burin donne à chaque figure une physionomie nette et originale. C’est là le grand art des historiens de l’antiquité, c’est ainsi que leurs écrits sont nécessairement supérieurs par la forme à nos histoires modernes, chargées de détails infinis et de digressions sur cette foule de sujets dont s’inquiète notre curiosité. Tout n’est point profit pour l’historien moderne dans le prodigieux amas de documens que la publicité multiplie et que l’imprimerie éternise. Au milieu de ces matériaux confusément entassés, l’esprit hésite et recule, il s’affaisse sous le poids. Celui qui veut écrire l’histoire ne devra pas seulement s’attacher à ce qui est utile et curieux, il devra lire aussi l’inutile pour s’assurer qu’il ne laisse rien derrière lui : le génie qui devait ordonner l’édifice se consume à fouiller dans les carrières. S’il se met enfin à l’œuvre, d’autres difficultés se présentent ; pour satisfaire la curiosité diverse des lecteurs, il ne faudrait rien moins que la science universelle : il ne s’agit pas seulement de raconter ; l’historien doit conclure. On exige qu’il juge de toute la hauteur des principes les questions les plus compliquées de la guerre, de l’administration, des finances, de l’économie politique, des négociations. Qui peut suffire à une pareille tâche ? Et pourtant, savoir cela n’est pas tout encore ; il faut l’apprendre aux autres, il faut faire comprendre clairement, sans difficulté, sans étude, à tous, à chacun, au plus ignorant, au moins attentif des lecteurs, toutes ces matières si compliquées dont une seule remplirait la vie d’un savant ! Comment maintenir l’unité dans une œuvre si complexe ? Que devient la pureté des grandes lignes,

  1. Esprit des Lois, livre III, chap. 12.