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la plus critique et courent risque d’être jetés à la côte. La clôture de la passe comprise entre l’île et le bec de l’Aigle donnerait à la rade foraine d’aujourd’hui, presque tous les avantages d’une rade fermée. Elle serait en effet alors défendue par un obstacle de 1,100 mètres de longueur directement opposé au sud, et en arrière de cet ouvrage de la nature et de l’art, mouilleraient par tous les temps les plus gros vaisseaux.

Les avantages d’une pareille entreprise sont hors de doute ; mais ne faudrait-il pas les acheter trop cher ? La profondeur de la passe de l’île Verte va jusqu’à 25 mètres, et, d’après l’expérience acquise dans les.travaux des dignes de Cherbourg et d’Alger, on ne la fermerait pas à moins de 8 millions. Cette dépense ne saurait se justifier par des considérations purement économiques. Pour des bâtimens de moins de 3 mètres 50 centimètres de tirant d’eau, et ce sont de beaucoup les plus nombreux, l’amélioration du mouillage est d’un intérêt secondaire : ils peuvent entrer dans le port, et le port approfondi recevrait les grands navires de commerce. Les intérêts de la marine marchande sont donc ici faiblement engagés, et l’abri en rade n’est réellement indispensable qu’aux bâtimens de, guerre.

Restreinte dans cette limite, l’utilité de l’entreprise mérite encore d’être prise au sérieux. La perte d’un bâtiment de commerce n’est pas une simple affaire d’assurances, puisqu’elle entraîne presque toujours une perte d’hommes ; celle d’un bâtiment de guerre a des conséquences plus graves : elle peut mettre en état d’infériorité relative l’escadre à laquelle il appartient, la neutraliser ainsi, et compromettre le succès d’importantes opérations militaires. La sûreté d’un lieu de refuge, tel que pourrait être la rade de la Ciotat, a souvent, dans une circonstance critique, fait le salut d’une escadre, et la confiance qu’il inspire a plus d’une fois rendu exécutables des entreprises qui, sans cela, n’eussent été que téméraires : le sort des batailles peut dépendre du plus ou moins de consistance du point d’appui qui sert de but ou de pivot aux manœuvres, et la nécessité de protéger la navigation toujours croissante du port de Marseille ferait, en temps de guerre, du mouillage de la Ciotat une des stations de nos escadres.

Ce point de vue n’est d’ailleurs pas le seul sous lequel se présente l’île Verte. Armée de batteries, elle commande la rade ; qui la possède est maître de celle-ci, et nos ennemis ont eux-mêmes pris soin de nous enseigner le prix de cette position négligée, Pendant la guerre continentale, les Anglais avaient jugé le mal que nous ferait la perte d’une station d’où ils tiendraient à la fois Toulon et Marseille en échec. Dans la nuit du 31 mai 1812, une escadre britannique de neuf vaisseaux parut inopinément au sud du bec de l’Aigle : l’île Verte fut attaquée par cinquante-quatre embarcations ; douze autres faisaient une diversion sur la côte. L’expédition échoua contre le courage et l’intelligence