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profondeur de 7 à 10 mètres[1]. Ce bassin magnifique, où manœuvreraient à l’aise des escadres, n’est pourtant sillonné que par de faibles et rares embarcations : c’est qu’il est séparé du port de Bouc et de la Méditerranée par l’étang de Caronte, large et vaseux chenal, qui n’a nulle part aujourd’hui plus d’un mètre à un mètre et demi d’eau.

S’il faut en croire la tradition, la mer de Berre était, il y a deux mille ans, fermée à son débouché actuel par un barrage naturel, et son niveau était d’au moins 2 mètres plus élevé qu’aujourd’hui. Marius, dont les pas sont restés si fortement empreints sur le sol de la Provence, fit détruire cet obstacle par ses légions, et l’abaissement des eaux mit à découvert la plaine long-temps marécageuse de Marignane (Marii stagnum) et celle de Berre. L’aspect des lieux n’a rien qui infirme les traditions. Si elles sont fidèles, l’irruption des eaux dut creuser profondément l’étang de Caronte, par lequel elles se précipitaient, et la Maritima Colonia, assise à l’entrée de la mer de Berre, sur le sol qu’occupe aujourd’hui la jolie petite ville des Martigues, put devoir à la facilité de ses communications avec la Méditerranée un haut degré de prospérité ; mais cette prospérité avait dans le progrès imperceptible de l’envasement du chenal un ennemi dont le temps assurait le triomphe. Des règlemens sur le curage, qui remontent à 1368 et paraissent avoir été rarement observés, attestent que, dès cette époque, la marine locale se sentait menacée. Pour ne pas chercher dans des temps trop reculés et dans des documens sans authenticité des vestiges des vicissitudes qu’elle a éprouvées, il suffira de rappeler ce qu’étaient les Martigues, lorsqu’en 1633 le cardinal de Richelieu fit constater l’état maritime des côtes de Provence : son commissaire trouva le chenal de l’étang de Caronte assez profond pour des bâtimens de 1,000 à 1,200 quintaux de charge, c’est-à-dire de 50 à 60 tonneaux. Les Martigues en possédaient douze de cette dimension ; vingt de leurs tartanes faisaient habituellement le commerce entre les côtes de Languedoc et celles d’Italie ; quatre-vingts tartanes de sept hommes d’équipage faisaient la pêche, non-seulement dans le golfe de Lyon, mais aussi dans la Rivière de Gênes, sur les côtes de Toscane, des États de l’Église, de Naples, d’Andalousie, et jusque dans l’Océan. Les Martigaux avaient fait, en 1622, pendant le siège de Montpellier, les approvisionnemens de l’armée du roi ; ils étaient enfin estimés les plus courageux et meilleurs mariniers de la mer Méditerranée[2].

  1. Une carte de la mer de Berre et de ses alentours a été publiée en 1843 par MM. de Gabriac, ingénieur des ponts-et-chaussées, et Robert, capitaine du bateau à vapeur l’Entreprise. Au mois d’octobre 1844, M. le baron de Mackau a ordonné le lever d’une carte hydrographique de cette même mer : ce beau travail est terminé et sera publié pour l’époque où le bassin qu’il représente sera ouvert à la navigation générale.
  2. Procès-verbal contenant l’état véritable auquel sont de présent les affaires maritimes de la côte de Provence, par Henri de Séguiran, délégué du cardinal de Richelieu en 1633. (Manuscrits de la Bibliothèque royale, n° 1037.)