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de Senas, de Château-Renard ; l’autre vient passer à Lamanon, et se bifurque plus bas pour envoyer ses eaux à l’ouest vers le Rhône, et au sud vers Istres.

Lamanon, qu’on pourrait appeler le château d’eau de la Crau, est à 107 mètres au-dessus du niveau de la mer et au sommet de l’angle dans lequel 40,000 hectares de cailloux roulés s’encaissent entre les soulèvemens calcaires. De son bassin, on peut dispenser à volonté l’irrigation sur toute cette étendue ; mais sur la plus grande partie on n’arroserait que des pierres, et, pour y cultiver, il faut commencer par former un sol labourable. C’est à quoi sont merveilleusement propres les eaux limoneuses de la Durance. A mesure qu’elles s’étendent sur la Crau, les cailloux disparaissent sous la couche de terre végétale qu’elles apportent, et bientôt une riante verdure se dessine sur le galet aride. On n’a jusqu’à présent tiré qu’un médiocre parti de la puissance de ce moyen d’atterrissement. Rien ne serait plus facile que d’organiser au profit de la culture une conquête méthodique et rapide de toute la surface de la Crau. L’irrigation ne se pratique pas toute l’année ; elle est interrompue pendant l’hiver, et lorsque les eaux de la Durance sont bourbeuses, ce qui arrive souvent, on évite de les répandre sur les terres cultivées. C’est précisément alors qu’elles sont le plus abondantes, et au moyen d’artifices très simples, les artères principales qui servent à l’irrigation deviendraient les voies de l’atterrissement. On pourrait, sans grande dépense, jeter ainsi sur la Crau, pendant une centaine de jours de l’année, 30 mètres cubes d’eaux limoneuses par seconde, c’est-à-dire de 3 à 4 millions de mètres cubes de terre, et livrer chaque printemps à la charrue 300 hectares et au-delà. Ces terres descendent par la Durance d’un niveau très supérieur à celui de la plaine :

… Hùc summis liquuntur rupibus amnes
Felicemque trahunt limum…
(GÉORG., l. II.)

Adam de Craponne a montré comment on pouvait les détourner au passage ; il ne s’agit que de compléter son œuvre et d’apporter quelque ensemble dans les vues et dans l’action.

La zone inférieure, baignée par la Durance et par le Rhône, réclamait des soins d’une autre nature.

On comprend qu’encaissées dans des terrains d’alluvion essentiellement perméables, et soutenues par eux au-dessus du niveau des plaines voisines, les eaux de la Durance s’épandent incessamment par infiltration sur ces plaines, et forment, suivant le relief du sol, des étangs, des marais ou des cours d’eau. Au XIIIe siècle, les parties basses du pays compris entre la rive gauche de la Durance et le Rhône présentaient